Nord-Kivu : les paysans vendent tout, la malnutrition gagne (Sifya-GL/La République)
Pour gagner un peu d’argent, les paysans des villages proches de Butembo, dans la province congolaise du Nord-Kivu, vendent leurs terres et leurs récoltes aux commerçants. Mauvais calcul : leurs familles sont aujourd’hui malnutries et eux alcooliques…
Plus de 60% des 500 malades qui consultent à Muhangi, un centre nutritionnel situé à 33 km au sud-ouest de la ville de Butembo (320 km au nord de Goma), souffrent de malnutrition aiguë ! Ces statistiques, qui datent de janvier 2007, montrent l’ampleur du désastre qui sévit dans cette partie de la province du Nord-Kivu. Dans plusieurs villages, les visiteurs sont frappés par la santé visiblement médiocre des paysans. Des femmes amaigries portent sur leurs dos des enfants qui n’ont que la peau sur les os, tandis que les hommes ne se portent guère mieux. «Je ne comprends pas ce qui arrive à mes administrés. Tout le monde paraît malade…», se désole Kalumeki Nzambi, le chef du village Muhangi. Il regrette que cette contrée, principal grenier de la ville de Butembo et ses environs, connaisse un tel sort.La malnutrition touche en effet plusieurs villages dans un périmètre de 50 km au sud-ouest de Butembo : Manga, Ngubi, Kasuo, Masoya et Masumo… D’après Kalumeki, «à cause de la multiplication des fermes dans la région, les villageois n’ont plus assez d’espace pour cultiver». Le constat est visible tout autour des villages et le long de la route qui mène à Butembo. Depuis quelques années, des commerçants fuyant les exactions des milices Mayi-Mayi à Vurondo, Mwenye et Kahamba, au nord-ouest de Butembo, ont racheté, souvent à vil prix, les champs des paysans qu’ils ont transformés en fermes d’élevage ou plantations de quinquina. Après avoir vendu leurs champs, certains paysans sont partis s’installer en ville, avant de retourner à la campagne une fois dépensé le peu d’argent qu’ils avaient gagné. A leur retour, ils n’ont plus ni terres, ni travail. Les nouveaux maîtres des terres préfèrent employer leurs proches qu’ils font venir des villes, plutôt que des villageois.
Récoltes trop faciles à vendre Cependant au centre de nutrition de Muhangi, d’autres raisons sont avancées pour expliquer le mauvais état de santé des populations de la région. «Dans de nombreuses familles paysannes, les récoltes de soja, de maïs, de haricots et autres légumes sont vendues pour gagner un peu d’argent. Les paysans se contentent des miettes», explique Constant Tshongo, un nutritionniste. Depuis que la route reliant Butembo aux villages environnants a été réhabilitée, il y a trois ans, des véhicules des commerçants envahissent en effet la contrée, ramassant toutes les récoltes. Mais l’argent gagné par les paysans ne représente pas grand-chose et est souvent mal dépensé. Selon Constant Tsongo, «les paysans consomment beaucoup trop d’alcool sans bien manger. Cela nuit à leur santé». Par habitude, les villageois négligent les légumes et le soja. Ils recherchent le poisson et la viande, des denrées plutôt inaccessibles pour leurs maigres revenus.
Hommes fainéants et alcooliques
Sur le petit marché du village de Mambira, les rares femmes qui ont encore un peu d’argent se ruent sur des têtes et les arêtes de poissons séchés. Ces restes, interdits de vente en ville, sont les seuls aliments d’origine animale qu’elles peuvent s’offrir. Les paysannes se plaignent d’ailleurs de leurs maris, trop fainéants et alcooliques. «Les hommes passent leur temps dans les vallées sous les palmiers à boire du vin de palme, et reviennent à la maison juste pour manger. Cela constitue une lourde charge pour nous les femmes…», dénonce Ermelinde Kasyenene, une enseignante de Muhinga. Dans un bistrot du village de Mambira, une bouteille de vin de palme ne coûte que 30 Fc. Le chef de cette localité a tenté de lutter contre l’alcoolisme des hommes, notamment en imposant une taxe élevée sur le vin de palme. Mais il reconnaît que ses efforts n’ont pas donné de résultats. «Il est difficile de tout contrôler, avoue-t-il. Car il y a des milliers de tireurs de vin et certains taxateurs sont complices».
Kennedy Wema
Syfia Grands Lacs/Rdc
15 mai 2007
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