
Une menace pour le Congo
(Le Potentiel 25/06/2007)
Invité à expliquer les options fondamentales retenues dans le budget 2007 au Sénat le vendredi 22 juin 2007, le ministre des Finances, « Athanase Matenda Kyelu a dit attendre du Sénat de corrections au projet du budget 2007, pour répondre notamment aux exigences des partenaires extérieurs, dont le Fonds monétaire international. » (Budget 2007 : cap sur le point d’achèvement, dans Le Potentiel du 23 juin 2007. Nous soulignons.) Ce faisant, les sénateurs pourront répondre à l’exigence de « la stabilité du cadre macro-économique sur laquelle a été élaboré le budget 2007 prise en compte pour donner toutes les chances à la RDC de garantir sa marche victorieuse vers le point d’achèvement à l’initiative PPTE. » (Ibidem. Nous soulignons.) Qu’y a-t-il comme « chances à donner au Congo » dans la reconduction des recommandations des IFI dont le rôle nocif dans l’évolution de notre politique économique se passe de tout commentaire ?
Qu’y a-t-il de victorieux dans l’achèvement d’une initiative conçue prioritairement pour répondre « aux exigences des partenaires extérieurs » ? Les sénateurs congolais remarqueront-ils que les options fondamentales du budget 2007 sont extraverties ? Et qu’elles sont superficiellement « fondamentales » parce qu’elles ne posent pas les questions de fond ? (Elles ne reposent pas sur les recommandations des Congolais(es). Les cinq chantiers de Joseph Kabila sont du replâtrage. Et c’est dramatique !) Il y a par exemple cette question lancinante : « Pourquoi le Congo doit-il payer, sous l’instigation du FMI, des dettes odieuses », (c’est-à-dire de l’argent dilapidé par les bénéficiaires et leurs clients, chiens de garde du « turbo-capitalisme » et /ou de l’argent renvoyé dans les banques occidentales (en Suisse par exemple) sans que la Congolais (es) en aient majoritairement bénéficié ?) Et puis, « nos honorables » arriveront-ils un jour à expliquer à nos populations la signification profonde de la fameuse initiative PPTE ? Auront-ils suffisamment d’audace pour leur dire que cette initiative est « une véritable opération de blanchiment des dettes odieuses » soutenue par les mécanismes de l’impérialisme (turbo-capitaliste) que sont le FMI et la Banque mondiale ? Explicitons.
Un bref rappel historique
Quand le pouvoir kabiliste reprend les paiements de la dette interrompus depuis 1993, il cherche à obtenir les financements extérieurs pour travailler à la reconstruction (sic !) du pays. Il est invité à accepter « l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés ». Les dettes contractées sous les régimes de la colonisation et de Mobutu sont restructurées. Cela signifie ceci : les anciennes dettes odieuses et impayables sont transformées (ou transfigurées) en de nouvelles dettes débarrassées du caractère odieux. C’est-à-dire que le Congo de Joseph Kabila accepte des prêts d’argent pour payer les dettes contractées pendant la colonisation, sous la dictature de Mobutu et pendant la transition. Une parenthèse. L’acceptation de l’initiative PTTE ne pose pas les questions liées à l’usage de l’argent prêté au Congo par le passé. Elle ne passe pas un audit là-dessus. Elle ne pose pas la question du fonctionnement des mécanismes d’appauvrissement d’un pays aux richesses fabuleuses comme notre pays. Le Congo de Joseph Kabila fait « comme si » le FMI et la Banque mondiale n’étaient pour rien dans l’appauvrissement éhonté de notre scandale géologique. Dans ce contexte, prétendre que le Congo marche victorieusement vers l’a le point d’achèvement à l’initiative PTTE n’est qu’une ineptie. Le Congo marche résolument vers son esclavage volontaire.
Revenons aux phases historiques de la fameuse initiative. « Une première de juin-juillet 2002 consistait au règlement des arriérés congolais envers le FMI et la Banque mondiale. La Belgique, la France, la Suède et l’Afrique du Sud prêtent ensemble la somme nécessaire au gouvernement congolais pour qu’il rembourse ses arriérés au FMI. Le FMI prête ensuite 522 millions de dollars au gouvernement congolais pour qu’il rembourse les quatre pays mentionnés. La Banque mondiale prête 330 millions de dollars pour que le pays liquide ses arriérés contre une nouvelle dette à un taux de 0,5% due au FMI et à la Banque mondiale. Un mécanisme d’apurement a également été conçu avec la banque africaine de développement. Aucun argent frais n’est donc injecté dans l’économie congolaise. » (C. KABONGO, M. BOURGY, V. RAMONET», A qui profitent toutes les richesses du peuple Congolais. Pour un audit de la dette congolaise, Bruxelles, CADTM, 2006, p.33.) Tout ce tour de passe-passe est couvert par une rhétorique fortement médiatisée et aussi alambiquée que celle où l’usage des expressions comme « nos partenaires extérieurs », « le cadre macro-économique », « la stabilité du cadre macro-économique » ne sert qu’à camoufler un jeu économique où la majorité de Congolais(es) est prise pour une quantité négligeable ! Malheureusement, cette majorité minorisée est tenue en marge des « en-dessous » de cette rhétorique. Ou elle ne s’y intéresse pas par crainte d’affronter les chiffres. Ou encore, elle se vautre dans une foi naïve en la capacité de ses gouvernants de la sortir des chaînes de la domination économique du Nord !
A la première phase succède une autre en septembre 2002. Celle-ci consiste en la restructuration de la dette du Congo à l’endroit du Club de Paris au sein duquel les Etats-Unis, la France, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie conserve la part du lion (65 % du total des créances). «La dette congolaise due au Club de Paris est évaluée à 10,3 milliards de dollars, dont près de 90% sont des arriérés accumulés depuis le dernier accord entre le Club de Paris et la Zaïre de Mobutu, en 1989. L’accord de septembre 2002 débouche sur l’annulation de 4,6 milliards de dollars de dettes, ce qui correspond au montant des arriérés sur le principal de la dette extérieure congolaise et sur le rééchelonnement de 4,3 autres milliards. » (Ibidem.p.33)
A l’examen de l’identité des créanciers du Congo, un constat se dégage : ce sont toujours « les mêmes acteurs économiques » qui sont au four et au moulin. Et ce sont eux qui, aujourd’hui, sont les conseillers des gouvernants congolais. Allez-y ne pas comprendre quelque chose !
Connaître l’histoire de la dette congolaise
Au jour d’aujourd’hui, il y a une abondante documentation sur la dette du Congo et sur son histoire. Lire et étudier cette documentation aurait été un préalable indispensable à l’acceptation de l’initiative PPTE et à l’élaboration du budget 2007. Nos ministres et leurs cabinets ont-ils le temps de lire et d’étudier sur les questions engageant notre devenir économico-financier commun ? Nous en doutons !
Lors de son dernier passage en Belgique, Mbusa Nyamwisi confiait à son homologue belge qu’au gouvernement actuel, ils sont nombreux à apprendre. Donc, ce n’est peut-être pas un gouvernement d’amateuristes qu’il aurait fallu à notre pays pour relever le défi de la reconstruction…Donc, nous-mêmes et les générations futures risquons de payer, pendant lontemps, le prix de cet amateurisme et du sceau de l’extraversion dont il est marqué. Cet amateurisme donne raison aux «aigris » et aux autres « empêcheurs de penser en rond » qui estiment que l’endettement étant devenu la nouvelle arme de l’asservissement des pays du Sud par le Nord, les gouvernants actuels du Congo sont « les collabos» (conscients ou inconscients) du nouveau désordre mondial ultra-libéral.
Si notre ministre des finances connaissait l’histoire de la dette du Congo et le rôle suicidaire joué par les instruments du « turbo-capitalisme » dans son maintien comme arme de domination du Congo par « les maîtres du monde » et les autres «faiseurs de paix », il n’attendrait pas du Sénat « des corrections au budget adopté en première lecture par l’Assemblée ». Il ne chercherait même pas à rapprocher davantage le Congo des recommandations qu’il a souscrites envers le FMI. Il proposerait de manière volontariste un réexamen de ces recommandations.
En effet, ce qu’il faut, ce ne sont pas des corrections d’un budget mais d’une mentalité d’esclaves des mécanismes de l’impérialisme « turbo-capitaliste». Ce qu’il faut, c’est se joindre aux Congolais(es), Belges et Français décidés à traduire la Banque mondiale en justice au sein du CADTM.(C’est peut-être sur cette question que devrait travailler davantage le prochain Forum Social congolais s’il n’est pas récupéré rapidement par « les collabos » du « turbo-capitalisme » !) Ce qu’il faut, c’est sortir des sentiers battus.
Tirant les leçons du miracle économique de l’Asie Orientale, Joseph Stiglitz et Andrew Charlton notent : « (…) Il est certain (…) que les pays qui ont réussi à se développer dans les cinquante dernières années l’ont fait en mettant en œuvre des politiques économiques inventives et originales. Jusqu’à présent, pas un seul n’est parvenu en suivant une stratégie de pure allégeance au marché. » (J.E. STIGLITZ et A. CHARLTON, Pour un commerce mondial plus juste, Paris, Fayard, 2007, p. 46.) Plusieurs de ces pays ont refusé de souscrire aux recommandations de la Banque mondiale et du FMI. Les pays de l’Amérique Latine ayant essayé d’emprunter les sentiers battus de l’orthodoxie tracés par ces institutions de Bretton Woods (les cinquante dernières années) ont produit des dictatures, de la misère et de la souffrance. Certains d’entre eux (le Venezuela, la Bolivie , l’Equateur, le Brésil, etc.) ont finalement choisi, de manière volontariste et info-formée, de rompre les chaînes de leur esclavage volontaire.
Nos ministres ont, eux, choisi une démarché suicidaire. Ils sont une menace pour le Congo d’aujourd’hui et de demain. Leur budget conçu sur fond de recommandations des partenaires extérieurs ( la Banque mondiale et le FMI) répond prioritairement aux exigences de ces derniers et non pas à celles des Congolais(es). Donc, il n’y a pas grand-chose à attendre d’eux. A moins d’une imminente « insurrection des consciences » pacifique et non-violente, le pire, chez nous, est à venir ! Jean-Pierre Mbelu
Par JP MBELU








25 juin 2007
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