« Ce texte a pour objectif de dénoncer la tournure que prend l’enquête sur le meurtre du journaliste Serge Maheshe. Dans cette tournure quelque peu fantaisiste, les plus plausibles présumés coupables ne sont plus inquiétés. Bien au contraire, des innocents sont poursuivis par des autorités juridiques et militaires pour des raisons et motivations jusque-là inavouées…Comprenne qui pourra ! »
Serge Maheshe, Serge Muhima et Alain Mulimbi étaient en quelque sorte « liés par le destin ». Ces trois jeunes gens, dans la fleur de l’âge, étaient de vrais amis depuis plusieurs années. Serge Maheshe et Serge Muhima avaient même vécu sous un même toit, trois ans durant, dans un appartement qu’ils avaient pris en location, juste au moment où ils terminaient leurs études à l’université. Avec Alain Mulimbi, ils ont fréquenté la même université, l’Université Catholique de Bukavu, Serge Maheshe et Alain Mulimbi à faculté de droit pendant que leur camarade Serge Muhima était à la faculté d’économie.
En date du 13 juin aux environs de 20h00’, Serge Maheshe de retour de son travail, est passé prendre son ami Serge MUHIMA à son domicile, afin qu’ensemble ils aillent déposer leur contribution pour le mariage de leur ami commun Alain Mulimbi qui devait se marier le vendredi suivant, c’est-à-dire le 15 juin.
Au moment de se séparer (de quitter la résidence des parents d’Alain Mulimbi qui est située sur la route menant vers le « Corps de la paix » à partir des « feux rouges »), Alain Mulimbi les a raccompagnés jusque devant le véhicule où ils sont restés quelques minutes debout en train de blaguer avant que deux (2) individus en provenance de la route menant vers le « Corps de la paix » n’arrivent et les dépassent sans rien leur dire comme si de rien n’était.
Quelques instants après, ces mêmes individus ont alors fait irruption devant eux, en venant de côté opposé, c’-à-dire de la route menant vers la place appelée les « feux rouges ». L’un deux leur demanda de se mettre par terre tout en chargeant directement son arme ; l’autre n’en avait pas.
C’est alors que l’un des trois hommes agressés demanda ce qu’ils avaient fait pour qu’ils se mettent par terre. Celui qui était armé réitéra l’ordre de se mettre par terre sans demander ni argent, ni identité,….
Serge Maheshe qui avait un handset tenta d’appeler la base Monuc pour signaler les faits.
A ce moment, un premier coup de balle fut tiré. Serge Muhima se jeta dans un caniveau pendant qu’ Alain Mulimbi se cachait sous le bus de la Monuc qu’avait Serge Maheshe qui semble t-il n’a pas eu le temps de fuir. Les deux amis qui s’étaient cachés entendaient Serge Maheshe demander ce qu’il avait fait, que les malfaiteurs pouvaient prendre tout ce qu’il avait, argent, téléphone,…..Un deuxième coup a été tiré et un des deux malfaiteurs se mit à tirer Alain par les pieds pour le faire sortir du dessous du bus.
Un troisième coup fut tiré et Alain Mulimbi qui avait résisté et donc toujours sous le véhicule vit les pas des malfaiteurs s’éloigner. Ces derniers ne semblaient même pas être pressés.
Alors Alain Mulimbi sortit du dessous de la voiture et se mit à appeler les deux Serge (Muhima et Maheshe).
Serge Muhima sortit du caniveau et avec Alain Mulimbi ils constatèrent que Serge Maheshe gisait par terre. C’est alors qu’ils appelèrent au secours et les voisins qui avaient entendu les coups de feu ont accouru.
Serge Muhima et Alain Mulimbi ont alors conduit Serge Maheshe à l’Hôpital Provincial Général de Référence de Bukavu. A ce moment-là, Serge Maheshe délirait et saignait abondamment. Avec eux, était un médecin, le Dr Zozo, qui loge dans le même enclos qu’Alain Mulimbi. Arrivé à l’hôpital, Serge Muhima a alors avisé quelques autorités, notamment celles de la Monuc ainsi que l’agence de sécurité des Nations Unies(UNDSS) et certains membres de sa propre famille.
Après ces coups de téléphone, il a rejoint Alain Mulimbi devant la salle des urgences qui pleurait déjà et qui disait que Serge Maheshe était déjà mort. Le Dr Zozo a confirmé le fait (le décès) en hochant la tête. Alain Mulimbi s’est évanoui et l’équipe des urgences a commencé à s’occuper de lui.
Des amis, des agents de la Monuc et la famille (élargie) c’est-à-dire celle de Serge Maheshe, Serge Muhima et Alain Mulimbi arrivèrent peu à peu à l’hôpital. Ils formèrent bientôt un cortège qui a accompagné le corps du défunt jusqu’au domicile de ses parents qui étaient littéralement inconsolables.
La même nuit, vers 23h, on a vu passer chez les parents de feu Serge Maheshe plusieurs autorités de la place, notamment Mr Alpha Sow, Chef de Bureau de la Monuc à Bukavu et beaucoup d’autres encore.
Alain Mulimbi avait aussi été conduit au bureau de la police nationale pour des premiers interrogatoires. Après lui, ce fut le tour de son père accompagné de ses deux fils et du Dr Zozo. Après l’interrogatoire ils rentrèrent tous à la maison car le choc était encore vif et insupportable.
A 6 h 00, toutes les radios diffusaient déjà la triste nouvelle. Elles parlaient de l’assassinat de Serge Maheshe et des informations circulaient selon lesquelles le quartier Ndendere était déjà bouclé et en train d’être ratissé par des enquêteurs.
A 8hoo, il y avait une foule compacte (étudiant, agents Monuc, famille, IRC, etc.) au domicile des parents de feu Serge Maheshe. Vers 9h30’, le Gouverneur de la Province est arrivé. Très ému, il s’est recueilli quelques instants devant la dépouille mortelle de Serge Maheshe mais il n’a fait aucune déclaration à ce moment là et à ce sujet.
Dans la soirée, des radios de la place parlaient déjà de 18 suspects qui étaient maintenant détenus à l’auditorat militaire car ils détenaient des armes, sur elles ou dans leurs maisons. Ces suspects éteiant-ils des militaires ? Des démobilisés ? Ces personnes avaient été interrogées, et le bruit courrait qu’une arme avait déjà été identifiée comme étant « l’arme du crime ».
Le soir du jeudi 14 juin 2007, un procès commençait et Serge Muhima et Alain Mulimbi furent entendus comme « renseignants ».
Le lendemain, au courant de la messe de funérailles chargée de beaucoup d’émotion et dite à la Cathédrale Notre Dame de la Paix, l’officiant n’a pas caché son indignation. Le même jour vers 14h, tout le monde s’est rendu au cimetière sauf Serge Muhima et Alain Mulimbi qui avaient été retenus à l’auditorat militaire car ils pouvaient comparaître à tout moment dans le procès qui continuait.
La météo se gâta, le procès fut suspendu et ils en profitèrent pour aller rendre un dernier hommage à leur ami qu’on portait à sa dernière demeure à ce moment-là.
Après l’enterrement, tous les amis, membres de la famille, connaissance et autres se sont retrouvés chez les parents de Serge Maheshe. Un cahier y était ouvert et là beaucoup des gens ont pu écrire ce qu’ils ressentaient et dire un dernier adieu au regretté Serge Maheshe.
Le samedi 16 juin, en mémoire de l’illustre disparu, toutes les radios et télévisions de Bukavu ont observé un silence total, suspendant leurs émissions pour ne diffuser que de la musique religieuse. Ce silence qui n’épargna même pas les émissions importantes comme les informations a duré toute la journée, pour traduire la colère et la frustration des journalistes.
Le même samedi, une cérémonie officielle s’est déroulée à Kinshasa à la quelle beaucoup d’autorités ont assisté et fait des déclarations (le ministre de l’information, le ministre de l’intérieur, le président de l’assemblée nationale, le Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies en RDC, etc.)
La reconstitution des faits prit tout un jour, au lieu où s’était passé le crime. Pendant la reconstitution de la scène du crime, les deux amis de feu Serge Maheshe(Alain Mulimbi & Serge Muhima) qui suite à la panique et la peur du drame n’avaient pas retenu de mémoire le visage des agresseurs ont néanmoins reconnu la démarche et la voix de celui qui avait tiré sur feu Serge Maheshe. Ils l’ont fait savoir aux avocats de la défense.
Pendant qu’ils étaient sur les lieux du crime, l’un des présumés coupables dira à Serge Muhima en une langue locale et d’un ton vraiment menaçant : « Yo olobi omonaki biso awa ? Ok, keba nayo, toko bima », ce qui se traduit par: « Toi tu dis nous avoir vus ici (reconnus) ? Fais attention à toi ! On sortira d’ici ! » (non dit : « et tu verras ! »
Il y a eu plusieurs auditions publiques, mais une seule a été vraiment réalisée. Le procès a souffert de deux reports ; et l’on devait encore avoir comparution le 11 juillet.
Le samedi 30 juin, vers 17h 00, Serge Muhima a été appelé au domicile des parents de Serge Maheshe. Lorsqu’il y est arrivé, il a trouvé un magistrat qui lui a dit qu’il y avait des faits nouveaux et qu’ils avaient besoin de lui à l’auditorat. Il n’a donné aucun détail sur ces soi- disant « faits nouveaux ». Ces fameux « faits nouveaux », il n’en a même pas parlé au père de feu Serge Maheshe. Il n’a non plus présenté aucun document de loi pouvant justifier sa mission. Serge Muhima l’a donc suivi et est arrivé à l’auditorat militaire. Le père de feu Serge Maheshe a téléphoné à un agent de la Monuc pour lui signifier qu’il venait d’être « visité » par un magistrat qui demandait à ce que Serge Muhima se présente à l’auditorat pour des nouveaux faits. Serge Muhima a été confronté à deux autres individus, civils et non militaires, qui n’avaient aucun lien avec les deux premiers présumés coupables, militaires. Quand Serge Muhima a été présenté aux deux individus qu’ils n’avaient jamais vus auparavant, ils se sont exclamés : « non, ce n’est pas lui ! Lui c’est Ka Serge, nous le connaissons bien ; ce n’est pas lui…c’est plutôt Alain. Nous ne pouvons oublier qui est Alain, le Dr Alain Mihigo ».
Alain a été contacté par téléphone pour se présenter à l’auditorat militaire pour quelques renseignements à la demande de l’auditeur. Après quelques instants, Alain Mulimbi a été conduit devant les mêmes individus et ces derniers ont prétendu le reconnaître finalement comme étant le commanditaire du crime. Ils ont dit qu’ils avaient été approchés par lui et qu’il leur avait promis 30.000 $ (trente milles dollars) s’ils réussissaient à tuer Serge Maheshe. Les auditeurs ont donc entendu tout le monde et ont décidé de garder Alain Mulimbi et Serge Muhima « pour des raisons d’enquêtes ».
Les membres de la famille ne savaient absolument pas pourquoi leurs fils étaient retenus à l’auditorat, dans un cachot. Ces détenus ont été brimés et même rançonnés par les gardiens, aucun officier militaire n’a dit aux gardiens que Serge Muhima et Alain Mulimbi n’étaient pas accusés.
Serge Muhima et Alain Mulimbi étaient-ils finalement suspects ? Ou inculpés ? Ou témoins ? Pourquoi dans ce cas les choses se passaient-elles un week-end, en précipitation, sans avocats, sans explication sur leur statut ? Pourquoi à l’auditorat militaire pendant que la victime, ces derniers « présumés coupables » et les « présumés commanditaires » ne sont pas des militaires ?
C’est sous le coup de 23 heures qu’il s’avérera impossible de voir sortir ni Alain Mulimbi ni Serge Muhima. Ils étaient là, détenus, sur base des déclarations des deux individus visiblement anormaux parce que intoxiqués ou drogués et qui prétendent avoir tué feu Serge Maheshe. Quel crédit accorder alors à leurs déclarations ?
Le lendemain matin, les deux prévenus ont pu voir les membres de leurs famille venir leur rendre visite. Ils ont eu l’opportunité d’avaler ne fût-ce qu’une tasse de café ! Ils étaient encore dans le flou et ne comprenaient pas les raisons qui avaient poussé les magistrats à les détenir en garde à vue. Vers 10 heures, ce dimanche 1er juillet, ils ont été entendus séparément de même que les deux « tueurs » à gage. Ces derniers se sont illustrés par le ridicule et la confusion, donnant des informations contradictoires et invraisemblables. A à en croire l’un d’eux, il ne s’agit pas du Dr. Alain Mihigo mais plutôt du Dr. Alain Muhindo qui auraient commandité le meurtre de Serge Maheshe. En outre, a-t-il ajouté ou précisé, le lieu où tout cela se fomentait est un « nganda » ou bistrot et que le gérant de ce dernier connaissait très bien ce Dr. Alain Mihigo/Muhindo. Interrogé à son tour, le gérant dudit « nganda » dit n’avoir jamais vu Alain Mulimbi.
Les raisons de détention de Serge Muhima repose sur le seul fait que les « tueurs » (qu’il n’avait jamais vus avant ce samedi 30 juin 2007) ont prétendu le connaître et l’ont appelé « Ka Serge »(c’est-à-dire Kaka Serge, en français, grand-frère Serge). L’un de ces individus prétend être « cousin de feu Serge Maheshe » et l’auditorat militaire n’a même pas appelé des proches parents du défunt pour identifier ce soi-disant « cousin ».
Au moment où nous rédigeons ces quelques lignes, les deux amis de feu Serge Maheshe sont toujours « détenus » sans qu’ils n’aient obtenu des précisions sur leur statut. Leurs détenteurs se contentent de leur signifier qu’ils ne sont ni témoins, ni en garde à vue, ni inculpés et même pas innocents !
Les choses sont tirées en longueur. Ce lundi, seul Alain Mulimbi a été entendu, de 8h à 15h30. Les magistrats ont prétexté qu’ils étaient fatigués, donc ils ne pouvaient pas entendre tous les deux détenus. La fameuse confrontation, attendue ce lundi, n’a pas eu lieu, curieusement ! Entre-temps, Alain Mulimbi et Serge Muhima croupissent à la prison de l’Auditorat militaire de Bukavu.
Cette nouvelle tournure des faits soulève néanmoins nombre de questions dont :
1. Où sont passés les premiers indices (douilles des balles, armes diverses,…) récupérés lors du bouclage du soir-même et au courant duquel 18 suspects ont été appréhendés et parmi lesquels deux ont été identifiés par Serge Muhima et Alain Mulimbi par le stature comme les bourreaux du triste soir ?
2. Où sont donc passés ces deux présumés coupables identifiés comme les criminels lors de la reconstitution des faits ?
3. Pourquoi la justice militaire congolaise ne privilégie-t-elle pas les premières pistes de l’enquête ?
4. D’où viennent ces singulières personnes qui sont venues avouer leur crime soi-disant commandité par les deux amis du défunt ? Quels sont l’identité et le statut réels de ces individus et comment a-t-on mis la main sur eux ?
5. Pour quelle raison ces deux individus sont-ils venus faire des aveux après 18 jours d’attente ?
6. Quelles sont les motivations de ces aveux ?
7. Qui sont les vrais commanditaires de ce crime ?
8. Quelles sont les raisons qui motivent ces tentatives d’intimidations vis-à-vis de Serge
Muhima et Alain Mulimbi ? Car pour plusieurs personnes, leur arrestation n’est autre qu’une autre manœuvre d’intimidation et ne peut donc conduire à rien pour l’enquête…
9. Qu’est-ce qui se passe à la MONUC pour qu’elle ne réagisse que très lentement dans cette affaire alors que Serge Maheshe était (1) un agent de la MONUC et (2) un civil dont la MONUC à le mandat de protéger ? Le meurtre de Serge Maheshe n’a visiblement pas suffi. Il faut encore que ses amis et proches parents soient intimidés, inquiétés, arrêtés et détenus arbitrairement, pour de soi-disant « raisons d’enquête » !
Et pourtant, la Monuc n’a jamais manqué à tous ces procès ! Elle s’y fait toujours représenter par quelques-uns de ses agents et cadres, en l’occurrence ceux du service des Droits humains !
Toutes ces questions et bien d’autres sont encore sans réponse à ce jours, 20 jours après l’assassinat crapuleux de Serge Maheshe et la tentative d’assassinat de ses deux amis Serge Muhima et Alain Mulimbi actuellement et arbitrairement détenus sous prétexte que c’est pour raisons d’enquêtes. Quelles enquêtes et pour quelle finalité ? L’avenir nous le dira…
Fait à Bukavu et Goma, le 2 juillet 2007
Les familles de Serge Muhima, Alain Mulimbi et amis.









3 juillet 2007
Actualités