Qui a tué Serge Maheshe?

25 septembre 2007

Actualités

Le carnet de C. Braeckman : Sud Kivu: qui a tué Serge Maheshe,
et pourquoi?

Le 13 juin dernier, Serge Maheshe, secrétaire de rédaction de Radio
Okapi à Bukavu, avait quitté son bureau vers 17 heures et, pour une
fois, ses chefs l’avaient autorisé à garder son véhicule de service, une
jeep blanche marquée du sigle des Nations unies, pour rentrer chez lui.

C’est ce qui a permis à deux individus de l’identifier, alors qu’il se
trouvait en compagnie de deux de ses amis, Serge Muhima et Alain
Mulimbi. Deux militaires lui demandèrent pourtant s’il s’appelait bien
Serge Maheshe et ordonna aux trois amis de se jeter à terre.. Muhima se
jeta dans un caniveau, Mulimbi se jeta sous le véhicule, le journaliste,
dès le premier coup de feu, implora les malfaiteurs, leur demanda de lui
prendre tout ce qu’il avait mais de l’épargner. Trois coups de feu
furent tirés, et les balles lui trouèrent la poitrine, le cœur et les
poumons. C’était la fin de l’un des journalistes les plus connus de
Bukavu, un assassinat perpétré de sang froid par des militaires qui ont
opéré comme des tueurs professionnels. Depuis lors, la capitale du Sud
Kivu est en ébullition et l’opinion s’interroge sur les raisons de cet
assassinat. En effet, dans les heures qui suivirent, des militaires
furent arrêtés, l’arme du crime saisie, mais aux yeux de tous, les
accusés potentiels n’avaient été que des exécutants, mandatés par des
commanditaires inconnus.
La justice militaire fut saisie de l’affaire, sous prétexte que
l’instrument du crime avait été une arme de guerre. Fin août, le
tribunal militaire de Bukavu tint à mener l’affaire rondement, mais
l’épilogue surprit tout le monde : le 28 août, les juges condamnèrent
Freddy Bisimwa et Masasile Rwezangabo à la peine capitale pour «
assassinat » mais il condamna aussi à la même peine, pour « association
de malfaiteurs », les deux amis de Serge Maheshe, seuls témoins
oculaires du crime ! Le jugement fut rendu en se fondant sur les seuls
aveux de deux premiers condamnés, qui expliquèrent que s’ils étaient les
auteurs matériels de l’assassinat, les amis du journaliste en étaient
les commanditaires. » Quant aux deux militaires initialement accusés
d’être les tueurs et dont des témoins oculaires avaient reconnus la voix
et la démarche, ils furent blanchis de toute accusation d’assassinat,
mais l’un d’entre eux écopa cependant de six mois de prison pour avoir
détruit l’arme du crime, un fusil mitrailleur AK47. Huit autres
prévenus, accusés d’être impliqués à des degrés divers dans
l’assassinat, furent acquittés ou condamnés pour des délits annexes.

Ce jugement suscita une vive émotion à Bukavu, où chaque jour des
centaines de personnes avaient suivi les audiences. Relayant
l’incrédulité générale, Reporters sans Frontières concluait que « le
jugement, fondé sur les seules accusations de deux inconnus, aucun
élément matériel et une absence totale de mobile, est aberrant. Les
autres pistes ont été négligées ou inexplorées, le scenario de
l’accusation ne tient pas debout… »

Un nouveau rebondissement vient de renforcer les doutes et les soupçons
: dans une lettre écrite en prison, les deux présumés assassins du
journaliste, des civils connus à Bukavu pour de petits délits, ont
accusé les magistrats militaires de les avoir soudoyés pour qu’ils
accusent les deux amis de la victime Ils précisent que les magistrats
leur ont fourni des éléments matériels compromettants afin d’étayer ce
scénario, y compris la carte SIM du téléphone de la victime. En
contrepartie de ces dénonciations calomnieuses, les magistrats leur
auraient promis une libération rapide et une rente financière.

Scandalisés par ces révélations, Reporters sans Frontières et
l’organisation congolaise « Journaliste en Danger » dénoncent «
l’inanité accablante de l’instruction menée par la justice militaire en
dépit du soutien que lui avait apporté le gouvernement congolais » et
exigent que « les vrais assassins et les vrais commanditaires soient
arrêtés et punis. »

Faut-il dire que les spéculations vont bon train à propos des mobiles du
crime ? L’une des thèses qui court sous le manteau à Bukavu est que
Serge Maheshe en savait trop : lors de la dernière réunion de la
tripartite (Congo, Rwanda, Burundi) qui s’était tenue à Bujumbura en
juin, le journaliste aurait eu connaissance d’un plan de déstabilisation
du Kivu. Un plan bien réel en tous cas, car il se mit en œuvre fin août
Nkunda entama les combats dans le Masisi tandis que les accrochages se
multipliaient dans les haut plateaux au Sud Kivu. A Bukavu même, des
comploteurs qui préparaient le lancement d’un étrange « mouvement simba
mai-mai » pour l’indépendance de la province, furent arrêtés dans la
commune de Bagira.

Maheshe aurait été informé de ces projets d’une manière tout à fait
fortuite : à Bujumbura, les journalistes ayant été priés de quitter la
salle après les premières prises de vue, il aurait laissé derrière lui
un vêtement avec, dans la poche, un portable allumé, ce qui lui aurait
permis de suivre la conversation… Ayant pris connaissance du contenu de
ces échanges entre les hautes autorités de la région, il aurait pris
peur et n’aurait communiqué sa découverte qu’à très peu de personnes,
sans en souffler un mot à ses collègues. Mais tous ses proches savaient
qu’il était inquiet, qu’il se sentait menacé et à plusieurs reprises, il
fit état des menaces de mort qui lui avaient été adressées, dont des SMS…

A première vue, cette hypothèse semble rocambolesque, mais lorsque l’on
se souvient des scenarios, bien réels, qui se sont déroulés dans la
région, on se dit que rien n’est impossible et surtout que la vie ne
vaut pas grand chose…

À propos de kakaluigi

Agé de 66 ans, avec 35 ans passés en Afrique dans la République Démocratique du Congo comme missionnaire. Engagé dans l'évangélisation, le social et l'enseignement aux écoles sécondaires. Responsable de la Pastorale de la Jeunesse, Directeur du Bureau Diocésain pour le Développement (BDD), Directeur d'une Radio Communnautaire et membre du Rateco.

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