VIOL COMME TACTIQUE DE GUERRE

26 octobre 2007

Au fil des jours

Viol comme tactique de guerre dans la Zone de Walungu, Groupement de Kaniola (Sud Kivu, RD Congo): le drame d’une communauté victime. Etude sociologique, culturelle et anthropologique 

 

 

Introduction 

 

 

Actuellement plusieurs medias nationaux et internationaux brisent le silence et s’intéressent aux violences sexuelles faites aux femmes en R.D Congo en général et au Sud-Kivu à l’Est précisément dans la zone de Walungu en particulier.

 

Le bilan est trop lourd. Le mode opératoire semble répondre à des règles et à des stratégies savamment montées pour écarter toute hypothèse d’une action sporadique. Notre étude tente de montrer à partir d’une analyse sociologique et anthropologique la perception de ce phénomène qui n’a d’autre raison que d’humilier et de tuer toute une communauté à travers des actes singuliers et parfois systématiques perpétrés dans tel ou tel village.

 

L’objectif de l’étude est d’éclairer ceux qui tentent de banaliser les faits ou qui se pressent d’en donner une lecture simpliste sans tenir compte du milieu de vie d’où surgissent ces faits.

 

L’étude pourrait aussi éclairer ceux-là qui réfléchissent sur les modalités d’intervenir dans ces communautés victimes et surtout ceux-là qui plaident la cause des victimes en évitant de copier et coller des méthodes de justice à rendre qui ne rentrent pas vraiment dans le contexte et qui à la fin ne font qu’humilier ou prolonger l’agonie des victimes. On ne peut pas penser réparation ou indemnisation encore moins justice sans écouter, associer ces communautés dont les membres n’ont que trop souffert.

 

L’analyse pourrait malgré le sens aigu de la recherche d’objectivité plonger dans le subjectivisme. L’auteur en est conscient. Il est fils d’ailleurs de cette communauté victime mais la force des faits plaident pour le sérieux de l’étude dont d’autres pourraient s’inspirer pour la prolonger.

 

 

Méthode. 

 

 

Notre méthode utilisée pour cette étude repose sur quatre paliers complémentaires: regarder, écouter, voir et rédiger. D’où la nécessité des interviews des personnes d’abord victimes mais aussi des personnes qui vivent avec les victimes. A la fin on se rend compte qu’il n’existe plus des personnes isolées qui ont été victimes mais c’est finalement toute la communauté. C’est cela qui rend le drame plus poignant et il faut en chercher des solutions durables au lieu de s’agiter ou de verser des larmes de crocodile. Le mal est profond, il faut des pistes de solution profondes.

 

 

 

 

Voici un témoignage parmi tant d’autres 

 

 


 

 

On pourrait interroger plusieurs personnes mais nous retenons ce témoignage pour plonger dans le vif du drame. Nous sommes le 26 février 2005. Madame Cibalonza Emérence âgée de 25ans reçoit une visite insolite à son domicile. Il est 22h dans ce village de Musengesi à Izege, zone de Walungu, territoire du Sud-Kivu à l’Est de
la RD Congo à moins de 50km avec le Rwanda.
 

          

Des hommes armés forcent et pénètrent brusquement dans la maison. Ils fulminent la mort. Ils sont identifiables grâce à leur habillement et leur langue. Nul doute, ce sont des Interhamwe. Les enfants sont terrifiés. Copieusement battu, le mari est ligoté et jeté dehors. On lui réclame l’argent. Il remet le peu qu’il a. Rien à faire il est lâchement abattu avec deux de ses enfants devant sa femme et les quatre autres enfants. Le dernier n’a que deux mois. Celui-ci a survécu par miracle. Voulant secourir ses petits enfants, le papa d’Emérence habitant dans la case voisine est aussi récupéré et tué sur le champ ; la voisine Léocadia M’Kadurha est brulée dans sa maison un peu plus loin. C’est la débandade au village. L’odyssée ne vient que de commencer pour la pauvre Emérence qui venait de quitter la maternité il y avait seulement deux mois. 

Elle est brutalement réintroduite dans la maison avec ses petits enfants dont le plus grand n’a pas dix ans. Entretemps les cadavres gisent dehors. On lui enfonce un morceau d’étoffe dans la bouche probablement pour étouffer les cris. Les bras sont attachés et les épaules fortement tenues à terre par les bottes des malfrats. Alors commence le viol en série. Combien l’ont-ils violée ? Elle se rappelle avoir vu trois et après elle a perdu connaissance, le sang coulant de partout. Les assaillants partis, les survivants au village récupèrent les enfants, enterrent les morts ! De telles scènes sont très fréquentes. Et chacun rentre chez soi comme si rien ne s’est passé après avoir vu le malheur chez le voisin : Quelques radio locales comme Maendeleo, Maria, Okapi en parlent … Et c’est tout. 

 

 

 

  

Des interrogations demeurent  

  

Le viol tel que subi par Emérence choque tout le monde. Les malfrats n’ont rien emporté et l’argent qu’ils ont exigé a été déchiré devant les victimes. Ils venaient humilier et violer. Et les deux enfants tués, le mari, le beau père ou la voisine brulée dans la maison : qu’ont-ils fait pour mériter un tel châtiment ?  

Jusqu’aujourd’hui Emérence souffre atrocement. Elle ne réussit pas à travailler de ses bras à cause des blessures reçues, d’ailleurs elle ne réussit pas encore à tenir correctement debout. Elle est fortement traumatisée. Elles a quatre enfants dont le plus âgé actuellement a 7ans. Pour ces enfants, impossible d’aller à l’école encore moins de trouver de quoi se vêtir ou se faire soigner. Quand les enfants demandent à leur maman où sont partis leur papa et leur grand père ; un flot des larmes coulent des yeux. Mais au quartier les petits enfants apprendront ce qui est arrivé à leur maman. Et les tombes des victimes sont à coté de leur habitation. Inutile de déterrer les os des victimes pour authentifier les crimes. 

Le mari d’Emérence était fils unique. Les huttes que les malfrats ont laissées n’ont pas survécu aux intempéries de la pluie et au soleil. Elle vit presque à la belle étoile. Les bras courageux de son mari n’existent plus pour réfectionner les huttes, bâtir l’enclos et pourvoir aux besoins de la famille. 

Emérence a déjà eu les soins de santé. Elle nous a confié qu’elle a fui l’hôpital avant qu’elle ne guérisse complètement car elle préférait rejoindre ses quatre petits enfants laissés chez ses compagnes au village. Quand elle est seule, elle a peur, crie et pleure. Son traumatisme est tellement fort que si cela dépendait d’elle elle aurait pu fuir ce village où elle a vu sa vie violée et volée, son mari et son père ainsi que ses deux enfants mourir….. Inconsolable, elle se demande pourquoi le destin lui a réservé un tel sort cruel ? 

 

 

Revenons à notre étude et d’abord un constat partagé 

 

Nous avons interrogé plus de 100 personnes dont 65 sont les victimes directes qui nous rejoignent dans nos bureaux et que nous accompagnons vraiment à la base. Nous avons ciblés aussi des leaders locaux dans les villages et même des personnes apparemment étrangers aux drames mais qui vivent aussi dans les mêmes villages de Kaniola.

 

Tous disent que ces faits constituent un fait unique dans leur histoire. Les faits ne trouvent aucun soubassement culturel et ne peuvent se comprendre ni s’expliquer. C’est une barbarie inimaginable. Ce que nous en disons n’est qu’une partie d’un tout difficile à dire. Ce sont probablement des générations à venir qui en parleront ou  qui en auront une clé de lecture. Pour le moins qu’on puisse dire, c’est un holocauste en cours devant lequel tout le monde s’agite sans en remuer les causes profondes. Déjà en parler, c’est une façon de briser un silence complice… Comme le disait un sage, il faut parfois craindre plus le silence des bons que la barbarie des méchants.

 

A l’écoute de la tradition 

 

Dans la tradition des Bashi qui sont les habitants du groupement mieux de la communauté que nous avons ciblé, la femme est d’abord considérée comme une mère. Elle donne la vie. C’est tout ce qui est sacré dans la tradition africaine. Un proverbe de notre tradition affirme : «Irhondo okabona omwananyere, onamurhabale, onamukenge bulya ntaye oyishi owakayishiba mwalikazi ». Je traduis presque littéralement : le jour que tu rencontres une jeune fille sur la route, aide-la , respecte-la car elle pourrait être un jour ta belle fille. D’où le respect et la considération que l’on porte presque naturellement à la femme dans ce milieu. Déjà très jeune, elle porte l’espoir de la vie. En fait comme le dit si bien la tradition agabumba e nguli omu cikinja gabonekera dit-on. Les sorghos qui rempliront le grenier se voient déjà dans le champ. Tous les parents éduquent leurs enfants dans cette philosophie où le sens de l’honneur familial et de l’excellence sont mis en exergue. Tout le clan en dépend :sa réputation, sa prospérité. Omukazi ye cirezi, ye murhima ali eka : la femme c’est l’éducatrice, c’est le cœur au foyer.

 

Une fois devenue grande, la jeune fille qui se marie devient ambassadrice de sa famille. Le mariage transforme son identité. Désormais celle qui s’appelait Chantale Nabintu Buhendwa devient automatiquement M’Buhendwa. Jamais on ne prononcera plus son nom. On l’appellera la maman de… La femme est identifiée à travers ses enfants et son père. Elle établit le trait d’union entre sa famille et celle de son époux. Le mariage revêt un lien social fort car on ne peut plus décider de la renvoyer ou même de manquer de respect à son endroit. Tout ceci est frappé par une amende suivie par des admonitions très sévères envers la partie coupable. La femme porte l’honneur de sa famille dans la nouvelle famille qu’elle rencontre. Oser humilier la femme c’est humilier toute la famille, tout le clan dont elle provient.

 

La femme soigne sa case et ses enfants. Elle respecte son beau père et sa belle mère qu’elle appellera désormais sa mère. D’ailleurs elle n’aura de cuisine qu’après parfois la naissance de son premier enfant car avant elle vit avec sa belle mère comme avec sa mère. De son mari elle attend respect et honneur. Celui-ci  ne jure que par sa femme. Personne n’a droit de battre sa femme. Cela serait signe de faiblesse et cela est très dommageable.

 

Il existe des tabous considérés comme mortels chez les Bashi. Un homme ne peut pas par exemple aller avec une autre femme quand la sienne est enceinte. Cela risquerait de tuer le bébé et sa mère. De même une femme ne peut jamais amener un autre homme sous le toit conjugal. Cela serait  un tabou mortel et exclurait ipso facto la femme de sa famille. Une femme appartient exclusivement à un seul homme. Connaître la femme de quelqu’un, c’est la meilleure façon de lui déclarer la guerre ou lui dire tout simplement qu’il ne vaut rien.

 

 Il existe des proverbes qui étayent cette idée. Ce serait un tabou mortel pour une fille adulte d’entrer rien que dans la case de son père. Une fois que la fille ou le garçon ont l’age de dix ans ils quittent la maison familial et vont habiter la hutte où se trouvent les adultes pour éviter tout contact avec le père dont le seul fait de regarder sa culotte serait un tabou et même plus tard pourrait causer que la jeune fille ne puisse pas faire des enfants. Les garçons ne dorment pas sous la même hutte avec les jeunes filles, même s’ils sont frères et sœurs. Cela serait un grand tabou… Le pire de tabou serait un contact intime même par le regard de la jeune femme avec son beau père. Muziro mudarhi bwenene c’est le pire des tabous.

 

En substance dans la tradition des Bashi, violer une femme c’est tout simplement violer sa propre mère. Un tel délit qui s’en glorifierait ? Et que dire alors de cette nouvelle culture qui apprend cela aux plus jeunes ? Ils font semblant de s’en moquer mais les auteurs de ces délits sont malades. Il faut soigner ces gens. Quelle idée, ils peuvent avoir de l’homme, de la douleur, de l’affection, du pardon ?

 

Bref chez les Bashi, il existe des tabous et des coutumes qui protègent la femme et vraiment lui donnent toute sa dignité.

 

Et alors… 

 

Dans un tel contexte, les violences faites aux femmes sont considérées comme une façon d’infliger la mort à toute une communauté. C’est en fait toucher au cœur même de la communauté.

-         Avec le viol, la femme est morte physiquement, moralement et socialement. Les atrocités subies jusqu’aux mutilations sont des signes indélébiles, pour celles qui survivent à leurs blessures, d’une mort réelle dans la chair. Moralement que pourrait dire une femme qui s’est vue violée devant ses enfants ? Rien. Une honte éternelle qui n’est rien d’autre qu’une mort. Et socialement c’est pire. La femme sent ses plaies physiques et morales. C’est probablement cette mort de la famille que poursuivent ceux qui violent publiquement les femmes. Ils veulent toucher à ce qui est le plus sacré dans une tradition, ce qui touche même au cœur de la vie.

 

-         C’est finalement toute la famille qui souffre éternellement. La vie et la cohésion familiales sont profondément minées. Et comme il n’existe pas de famille isolée en dehors de la tribu et du clan,, c’est tout le tissus social qui est contaminé. On comprend alors que des tels actes peuvent dans la suite générer des hommes inachevés, des montres sociaux et des gens aux plaies qui ne pourront jamais se cicatriser dans leur vie. Tout cela produit des comportements déviants. Qui s’étonnera alors de la prolifération des cas d’incestes, des enfants de la rue ou sorciers ?

 

-         Une telle mort avec les viols pour humilier ses adversaires sème un esprit de vengeance qui ne fait qu’accroître la spirale de la vengeance tribale. Est-ce probablement le but visé par ces violences ? Créer des communautés instables où les guerres ne pourront plus jamais finir et où l’on procédera de vengeance en vengeance et cela de génération en génération ? A qui profiterait une telle stratégie ? A l’Afrique ou alors aux vendeurs des armes et aux trafiquants des minerais d’une façon illicite ?

 

-         Un fait dramatique consiste dans la constatation de voir que plus de 80% des victimes ne sont pas accompagnées par leurs maris ou leurs familles dans ces milieux pour suivre les soins. Honte ou exclusion ? Tout est possible mais cela accentue le sentiment négatif de culpabilité et de laissé pour compte de ces femmes qui n’ont jamais voulu ni désiré mourir devant le regard haineux et criminel de leurs bourreaux. Se sentir rejeté par les siens à cause des violences subies et non voulues jette encore une fois de plus les femmes de Kaniola dans un désarroi extrême. Et ce n’est pas évident qu’une fille violée puisse reprendre le chemin de l’école ou devenir compétitive comme les autres dans la vie. Celles qui le peuvent fuient alors les villages pour se refugier dans les centres urbains apparemment plus sécurisés. Ces viols dépeuplent les villages et jettent dans les rues des gens exposés à toutes les intempéries. N’est- ce pas une autre forme de mort pour une communauté déjà meurtrie.

 

-         Le village de Kaniola n’a aucun moulin, aucun restaurant, aucune usine, aucun centre scolaire important, aucune station radio ni un grand marché ne serait-ce que traditionnel… Pourquoi alors s’attaquer à l’arme lourde et blanche à ces pauvres personnes qui n’ont que comme fortune une foret qui d’ailleurs ne produit plus de gibier ? Est-ce un règlement de compte politique pour montrer à l’opinion nationale et internationale que Kabila n’a rien fait pour cette zone où il a été massivement votée ? Si cela s’avérait vrai et les preuves peuvent exister, cela montrerait le degré de sadisme des seigneurs de guerre d’ici capables d’imaginer une façon aussi cruelle de tuer politiquement et surtout socialement un peuple… Les pauvres paysans méritent-ils une telle odyssée ?

 

-         Ces violences plantent la mort dans les villages et les communautés, et on ne saurait se limiter à des actes sporadiques pour soigner les victimes. Il faut prendre soin de toute la communauté car comme le dirait 
la Fable de
la Fontaine elles n’étaient pas toutes violées peut-être mais toutes étaient victimes… Victimes d’une mort lente mais certaine qui déciment les villages et les femmes en laissant des enfants bâtards probablement avec un taux de sida élevé et qui ne verront jamais leurs parents car tous seraient morts un à un à tour de rôle…. Et au-delà de  cette mort physique à grande échelle, la mort sociale qui se transmet par la déconfiture de la chaine sociale est le pire malheur apporté par cette nouvelle manière de faire la guerre à un peuple. En fait, c’est toute une communauté qu’on veut anéantir, décimer à longue durée.

 

Ces analyses suffisent à démontrer que réellement les viols come tactique de guerre ont été planifié par des personnes qui probablement connaissent très bien la communauté des Bashi  Maintenant il faut penser une piste de solution communautaire à ce drame communautaire

 

 

A : Nkunzi Justin

Historien

 

À propos de kakaluigi

Agé de 66 ans, avec 35 ans passés en Afrique dans la République Démocratique du Congo comme missionnaire. Engagé dans l'évangélisation, le social et l'enseignement aux écoles sécondaires. Responsable de la Pastorale de la Jeunesse, Directeur du Bureau Diocésain pour le Développement (BDD), Directeur d'une Radio Communnautaire et membre du Rateco.

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