(L’Observatoire de l’Afrique centrale 31/10/2007)
Selon le dernier rapport de l’ONG des droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW), tous les combattants armés (FDLR, FARDC, Maï-Maï et CNDP, pour ne nommer que ceux-là) dans l’est du Congo sont coupables de viols, de pillages et de violations massives des droits de l’homme. Le principe est noble, mais malheureusement si tous sont coupables, certains le sont plus que d’autres, en particulier, selon HRW, Laurent Nkunda et les soldats qui lui sont « affiliés ».
Dans le rapport de 96 pages que HRW consacre à la « Nouvelle crise au Nord-Kivu » on ne peut s’empêcher de remarquer que les reproches que l’ONG américaine adresse aux combattants se déclinent numériquement de la manière suivante : Nkunda et ses affiliés : 11 pages principales de crimes et de reproches et le mot Nkunda qui revient 265 fois dans le texte de 96 pages; les FDLR : 4 pages principales de crimes et de reproches et 126 occurences du mot FDLR dans tout le texte; les FARDC : 2 pages principales de crimes et de reproches et 16 occurences de FARDC dans le texte. Le titre aurait donc dû être : La crise de Nkunda au Nord-Kivu et non pas « Nouvelle crise au Nord-Kivu ». Pourtant, à la lumière des exactions et des crimes commis par tous les acteurs armés sur le terrain militaire du Nord-Kivu, ce centrage sur Nkunda paraît un peu déplacé, surtout quand on sait les meurtres presque hebdomadaires commis dans les villes de Goma et de Bukavu par des soldats des FARDC. Il y aurait-là de quoi remplir plusieurs pages supplémentaires concernant l’armé congolaise. Il faudrait aussi se souvenir du début de ces cycles de violences qui semble maintenant presque atavique dans la région des Grands Lacs africains. Burundi 1972 : le génocide des élites hutus par le régime tutsi de Micombero. Rwanda 1994 : le génocide des Tutsis par le régime Hutu d’Habyarimana. Zaïre 1995 : le régime Mobutu qui tente de remonter en selle en cassant du sucre sur les Tutsis de l’est du pays. Cela débouchera dans la fuite des Banyarwanda tutsis du Nord-Kivu, qui sont toujours coïncés dans des camps de réfugiés au Rwanda. Leur retour est la principale exigence de Laurent Nkunda.
On ferait bien d’attendra d’autres rapports avant d’envoyer tout le monde devant un tribunal. Not going to happen! C’est pas seulement au Kivu que l’arbitraire règne, l’arbitraire règne en roi et maître partout en RDC et le nombre de criminels de guerre qui sont encore en poste dans l’armée, les milices, les groupes armés étrangers et dans les services de sécurité congolais, commence à dépasser un peu l’entendement du commun des mortels, fusse-t-il Congolais.
Entre-temps, la situation sur le terrain n’a pas évolué depuis les derniers accrochages dans les localités de Bunagana et de Rugari. La seule nouvelle notable concerne la rédition du chef Maï-Maï, Kasereka. Les FARDC voudraient nous présenter la chose comme la réalisation d’une des conditions mises de l’avant par Nkunda pour désarmer ses troupes : la neutralisation des Maï-Maï. Comme on sait le phénomène Maï-Maï ressemble à la génération spontanée. L’arrestation ou la rédition d’un chef Maï-Maï n’implique pas la disparition de sa milice, car les prétendants au poste de commandant de milice ne manquent pas dans un pays où le taux de chômage est astronomique : c’est l’argent facile et la haine (non moins facile de « l’Autre ») au bout du fusil. Disons aussi que le désarmement des Maï-Maï n’est pas la principale condition posée par Nkunda pour rejoindre le brassage. Ses deux principales conditions sont : la neutralisation et le rapatriement au Rwanda des Interahamwe (FDLR) qui sont encore au Nord-Kivu et le retour des réfugiés tutsis congolais qui sont au Rwanda depuis 1995-96. Or, on sait que, non seulement les FDLR sont alliées aux FARDC, mais aussi et surtout la présence des Interahamwe au Congo relève d’une dimension internationale : ils ont été installés au Congo en 1994 grâce à l’Opération Turquoise et, jusqu’à ce jour, rien n’indique que les ponts sont rompus entre Paris et ce groupe armé lourdement impliqué dans le génocide Rwandais de 1994.
La fin de semaine passée, la grande nouvelle dans les médias kinois concernait la rencontre Bush-Kabila à la Maison Blanche. Nos confrères congolais se réjouissaient de l’appui que le président George W. Bush aurait accordé à son homologue congolais, particulièrement en ce qui concernait le rétablissement de l’autorité de l’État sur tout le territoire national, lire dans l’est du pays… Si pour Kabila et son entourage, le problème de l’insécurité dans l’est se résume à Nkunda, l’Obsac doute fort que l’Oncle Sam n’ait pas abordé la question de la présence des FDLR dans cette partie du Congo. Le Wichita Eagle rapportait que ce sont les questions de sécurité qui ont accaparé le gros de l’ordre du jour de la rencontre entre les deux hommes. La première réaction d’un haut fonctionnaire du département d’État est venue du chargé d’affaires américain à Kinshasa, M. Sam Diock qui a annoncé sur Radio Okapi que les États Unis allaient contribuer à une reforme dans le secteur de la sécurité. Nous avons par exemple déjà envoyé à Goma un diplomate américain. Bientôt il y’en aura un 2ème. Quelqu’un spécialisé sur les questions humanitaires. En même temps, je pense que nous serons là pour aider avec le efforts par exemple de former des unités de l’armée congolaise dans la lutte contre des milices, dans la formation d’une force de réaction rapide. M. Diock ajoutait que Ça pourrait commencer déjà à partir du 1er janvier 2007. Notons que quand M. Diock parle du secteur de la sécurité il enchaîne immédiatement en mentionnant Goma. Ce N,est pas innocent, et ça dit, quelque part entre les lignes qu’on n’est pas très content de la tournure des événements. Soulignons que le secteur de la sécurité est largement occupé jusqu’ici par la France et quelques amis régionaux du régime de Kinshasa. Le fait que les Américains décident de débarquer avec leur gros sabots à Goma n’augure rien de bon pour ceux qui voulait purement et simplement « liquider » le problème Nkunda.
Rappelons tout de même que l’insécurité n’est pas seulement installée au Nord-Kivu, mais également au Sud-Kivu (et ailleurs aussi en RDC, mais ça c’est une autre histoire qui n’a pas vraiment changé depuis les FAZ de Mobutu). Le Sud-Kivu est en effet l’endroit où les FDLR rwandais commettent leurs pires crimes (viols, tueries) dans les territoires de Walungu, Kabare, Shabunda, Mwenga, etc. Bref, il est facile de constater que les USA s’inquiètent maintenant officiellement de la tournure des événements dans cette région du Congo et ont décidé de se doter de leurs propres antennes sur place, pour voir comment ça se passe dans les faits et, sans doute pour façonner une solution qui sera acceptable pour ses propres alliés dans la région…
En d’autres termes, le président Joseph Kabila n’a pas obtenu l’appui inconditionnel de la Maison Blanche, n’en déplaise aux journaux de Kinshasa et aux spins doctors de la présidence congolaise. La langue de bois du communiqué final de la rencontre, pour les habitués du diplospeak, était plutôt vague et n’apportait rien de bien concret dans l’escarcelle congolaise. De toute manière, depuis la fin de la guerre froide, le Congo, en dépit de ses réserves d’uranium et d’autres métaux stratégiques convoités par la Chine, n’est plus une priorité pour tous les locataires de la Maison Blanche, surtout l’actuel qui est embourbé jusqu’au cou dans les sables pétrolifères du désert irakien. de toute manière, les Américains ne comprennent pas vraiment grand chose à la méthodologie française en Afrique. Ils sont un peu comme un éléphant qui ne remarque pas les souris qui lui passent entre les pattes. Les souris peuvent en rigoler, n’empêche que plusieurs finissent par se faire écraser.
S’ils ne comprennent pas grand chose au grand jeu français en Afrique, disons tout de même qu’il faut reconnaître que dans certains Think Tank américains, on est conscient de l’incapacité notoire du président congolais à diriger son pays, en dépit de l’aide massive de la MONUC, plus importante mission des Nations Unies dans le monde. Cette incapacité à diriger le pays est également l’une des sources de l’insécurité qui prévaut dans l’est du Congo. En d’autres termes, les Américains ont sans doute compris qu’un appui massif à ce régime, comme le fait Paris, n’est une garantie de succès. D’où cette façon de faire à la Saint Thomas… J’y croirai quand je l’aurai vu, et pour le moment on n’a rien vu (raison pour laquelle on expédie sur place deux représentants).
La rédaction
31 octobre 2007
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