Point sur la situation et réflexions d’un citoyen congolais du Sud Kivu, en République Démocratique du Congo.
Officiellement l’opération Kimya II a débuté le 12 juillet. Maintenant l’insécurité et les affrontements sont généralisés au Sud-Kivu, et spécifiquement dans les territoires de Shabunda, Walungu, Kalehe, Mwenga, Uvira. Les troupes des FARDC1 sont appuyées par les Casques
bleus pakistanais de la MONUC. Le bilan des affrontements n’est toujours pas donné officiellement et cette guerre n’est couverte par aucune presse.
Une guerre généralisée, des populations sans assistance
Dans le territoire de Shabunda on compte des villages pillés, des populations déplacées par milliers.
Dans le territoire de Walungu, groupement de Kaniola, les populations des villages qui longent la forêt (Nyamarege2, Cindubi, Izege, …) sont en train de quitter leurs maisons pour aller vers des villages plus proches du centre de Walungu.
Dans le territoire de Kabare, c’est la chefferie de Nindja qui est la plus traumatisée, suite aux affrontements (Luhago, Cishadu…).
Dans le territoire de Kalehe, presque toute la chefferie de Bunyakiri s’est vidée de ses habitants, qui se sont dirigés vers Kalehe centre, chef lieu du territoire. Là, les populations, déjà pauvres, qui les accueillent sont en train de se plaindre, ne sachant pas comment les secourir.
Dans le territoire de Mwenga, ce sont des milliers désormais les personnes entassées à Mwenga centre et à Kamituga. Ne trouvant pas d’assistance, ils voulaient rentrer chez eux, mais ils en sont empêchés par les affrontements en cours. Lundi 13 juillet, à Mwenga centre, le camp de la MONUC a été la cible d’une attaque des FDLR. Un casque bleu pakistanais a été blessé et évacué d’urgence par hélicoptère à Bukavu. Dans la chefferie de Burhinyi la souffrance des populations ne fait que s’accroître, à cause des deux camps, FARDC et FDLR. Ceux qui se trouvent dans un village occupé par l’une ou l’autre force antagoniste, ne peuvent pas quitter, pour ne pas être considéré espions de l’autre camp3, alors que ces déplacements sont nécessaires à la population pour son ravitaillement.
Dans le territoire d’Uvira, la population fuit les Hauts Plateaux de Lemera, vers Uvira, par crainte des combats. Sont encore épargnés les territoires d’Idjwi, pour son caractère d’île, et de Fizi, qui sera aussi atteint. C’est une guerre qui n’a aucune chance de réussite, car les FARDC enfoncent les FDLR de plus en plus dans la forêt congolaise. En outre, c’est comme un rituel convenu : les FARDC tirent en l’air et les FDLR se déplacent avec leur population. Cela n’empêche qu’il y ait des victimes parmi la population, qui, apeurée, prend la fuite.
Bref, l’état d’insécurité est presque généralisé sur tout le territoire du Sud-Kivu. Dans ces contrées, la population civile est en débandade, sans aucune assistance humanitaire. Elle se concentre dans les grands centres, ou bien elle est utilisée comme bouclier humain par les deux cotés. La population civile hutu rwandaise, contrainte à un déplacement continu, est aussi sans assistance. Tout cela malgré que les Autorités congolaises et des Nations Unies aient promis de sécuriser les civils.
L’attitude des autorités
Les autorités tant provinciales que nationales gardent un silence coupable et ne mettent en place aucun mécanisme d’assistance à cette population en détresse. Au contraire, elles lancent des appels à la population congolaise pour lui demander de se désolidariser et se démarquer des FDLR. Comment une population prise en otage pourrait-elle le faire ? Ces autorités assurent que le succès qu’on a vu au Nord Kivu suite à l’opération « Umoja wetu »4 sera assuré au Sud-Kivu aussi. Or, le 12 juillet Radio Okapi5, signalait la persistance au Nord-Kivu de 1.100.000 personnes déplacées, dont 600.000 femmes. Les combats continuent à faire rage à Chondo, dans le territoire de Masisi. Le CNDP6 qui était
censé être démantelé pour devenir un parti politique, continue à ériger des barrières dans les contrées qu’il occupe, en faisant payer la taxe aux véhicules qui y passent. Ce mouvement se dit intégré dans les FARDC, mais sa structure militaire reste toujours intacte ; en quelque sorte il y deux armées parallèles.
L’échec du programme Amani
Au Sud-Kivu, le 11 juillet, les autorités nationales du programme Amani et le Chef d’Etat Major général des FARDC ont reconnu que sur 28.000 hommes des bandes armées, qui étaient attendus au brassage, seulement 3.000 se sont présentés, avec 300 armes seulement. Et maintenant, dans les coulisses, les Mayi-Mayi qui ont refusé le brassage se disent frustrés par la position privilégiée du CNDP et des FRF7, qui sont toujours stationnés dans les Hauts Plateaux de Minembwe et qui n’ont jamais signé l’acte d’engagement pour mettre fin aux hostilités. Au vu de ce qui précède, on peut aisément déduire que les accords entre le gouvernement et le CNDP ne sont pas sincères.
Le 2 juillet, à Goma, le Représentant de l’Union Européenne pour les Grands Lacs déclarait officiellement que pour sa sécurité la RDCongo doit nécessairement partager ses richesses avec ses voisins. Le 6 juillet, sur Radio Okapi, le Représentant de la R.D.Congo à la CPGL8, Mr. Ntumba Lwaba, déclarait que bientôt il y aura des patrouilles mixtes de troupes congolaises et des troupes rwandaises sur les lacs Kivu et Tanganyika. Qui protège qui, finalement ? L’armée congolaise a-t-elle désormais fusionné avec l’armée rwandaise ?
A l’horizon se profile le danger d’un éclatement de l’armée nationale en plusieurs factions, car une partie de l’armée mal supporte la présence d’éléments étrangers, rwandais et ougandais, dans ses rangs. C’est ainsi qu’elle pourrait se désolidariser et se rattacher même aux FDLR et aux autres groupes armés. Ce serait alors une guerre totale. La paix n’est pas pour bientôt au Kivu.
Et pourtant…
Et pourtant il y aurait un chemin qui pourrait épargner à la population tant de souffrances et une guerre sans issue : l’ouverture d’un vrai dialogue interrwandais, demandé depuis longtemps par les Hutu rwandais au Congo comme condition pour leur retour. La population congolaise se demande étonnée pourquoi la Communauté internationale ne pousse pas les Rwandais à se parler entre eux, comme elle l’a fait avec les Congolais et avec bien d’autres peuples d’Afrique.
Fait à Bukavu, le 17 juillet 2009.
Néhémie BAHIZIRE
1 Forces Armées de la République Démocratique du Congo, l’armée nationale.
2 A Nyamarege, le mardi 14 juillet, les FDLR (Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda, mouvement politico-militaire des Rwandais hutu en RDCongo) ont fait un raid, en pillant les habitations et en tuant une personne..
3 C’est ainsi que samedi le 11 juillet les Mrs. Bisimwa et Christophe, qui allaient visiter l’un de leurs frères malades, ont été pris en otage par les FDLR, torturés et ont dû payer 150 $ pour être libérés.
4 Réalisée en janvier-février au Nord-Kivu par une force conjointe congolo-rwandaise, toujours en vue de contraindre au retour désarmé en patrie les Hutu rwandais armés présents dans la province.
5 La radio de la MONUC en R.D.Congo.
6 Le parti-armée auparavant géré par Laurent Nkunda, et appuyé par le Rwanda.
7 Branche du CNDP au Sud-Kivu.
8 Communauté des Pays des Grands Lacs.








20 juillet 2009
Au fil des jours