Ci-dessous, articles du « Climat Tempéré », journal de Kishasa
En annexe, extrait des « Héritiers de Léopold II » traitant de la « Donation royale ».
LE BILLET
Indélicatesse belge !
Le quotidien « La Dernière Heure » a révélé mardi qu’au dernier soir du récent voyage du couple royal belge à Kinshasa pour les festivités du cinquantenaire de l’indépendance de la RD Congo, le chef de l’Etat, Joseph Kabila, a offert à la reine Paola un précieux cadeau, une « magnifique parure en diamants et pierres précieuses. « Un présent de choix et certainement de grand prix », commentait le journal, sans en évaluer le prix.
Cette révélation a provoqué de nombreuses réactions. Mercredi, une dépêche de l’agence Belga citant le porte-parole du Palais royal belge informait que « les bijoux reçus par la reine Paola, un collier, un bracelet et des boucles d’oreilles en diamant » ont été remis à la donation royale. Ils sont de ce fait incorporés au patrimoine de l’Etat, comme propriété de l’Etat, mais restent à la disposition de la famille royale. Théoriquement, la reine pourra, si elle le veut, « emprunter » de temps en temps ces bijoux à l’Etat; elle les porterait puis les rendrait à leur propriétaire ! Mais, imagine-t-on vraiment la reine des Belges se prêter à une telle pitrerie pour le vain et futile plaisir de se parer de beaux diamants venus du Congo ?
Cela dit, on se demanderait bien ce qui pousse la reine à se délester de ce cadeau présidentiel. Tout tient sans doute au contexte. On le sait, la monarchie en Belgique n’est pas très populaire sur l’ensemble du pays. Très soutenue en Wallonie, elle est souvent critiquée en Flandre, la partie majoritaire du pays. Bart De Wever, le virtuel formateur du nouveau gouvernement belge, se dit lui-même « républicain ». Avant les élections qu’il a gagnées, il disait avec humour que si on divise la Belgique, la famille royale – « qui est très riche » – n’aura pas à se plaindre. Et hier matin, la RTBF a fait allusion aux « diamants du sang ». Ces diamants de guerre suspects qui font l’objet de mesures internationales dans le cadre du processus de Kimberley visant à en déterminer la traçabilité. Des diamants de sang ! Associer Joseph Kabila et le Palais royal à cette image de diamants du sang ! Tout de même ! Cela commence à bien faire. Et puis, il y a toutes les critiques formulées ici et là sur les dépenses – on parle de 22 millions d’euros – engagées par les autorités congolaises pour les festivités du cinquantenaire, alors que la population de ce pays souffre ! Cette affaire de diamants en bijoux offerts à la reine des Belges semblait prendre des proportions fort gênantes. Le Palais royal aura sans doute voulu désamorcer cette spirale funeste. En situation normale, la reine avait bel et bien le droit de conserver le cadeau. Mais le faire aujourd’hui ouvrirait la voie à de la surenchère, qui risquerait de précipiter cette Belgique si frileuse vers une nouvelle crise.
Et puis, vous avez bien dit : des bijoux en diamants ! Automatiquement, revient à l’esprit cette affaire des diamants de Bokassa. Vers fin 1979, on s’en souvient, le Canard enchaîné fit la révélation des diamants offerts à Valéry Giscard d’Estaing, d’abord ministre des Finances et puis président de la République française, par le président de la République centrafricaine, Jean Bédel Bokassa. En déclarant « Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison», VGE afficha un mépris souverain vis-à-vis de cette affaire qui montait. Bientôt elle lui colla à la peau et il ne put plus se défaire de l’image d’arrogance et de la posture d’aveu qui lui furent collées. Il le paya cash à la campagne présidentielle de 1981.
Cela dit, est-il concevable que l’on crée en Belgique de l’agitation autour d’un cadeau ? Quoi de plus naturel que d’offrir un présent à un hôte ? Au Congo belge, quel agent colonial pouvait aller dans nos villages sans se faire remettre des œufs sinon des chèvres en guise de cadeaux ? Les dons rentrent bien dans le cérémonial de l’hospitalité chez nous. Et, la valeur du cadeau est fonction de la qualité de qui donne et de qui reçoit. C’est sans doute ici que les réalités divergent. La RTL rapportait hier « qu’il n’avait pas été signalé au protocole qu’il serait fait un cadeau à la reine, et que le couple royal aurait été embarrassé, car ne connaissant ni l’origine ni la valeur de ce bijou ». En comparaison, selon la télé, la reine pour sa part n’a offert à Mme Olive Lembe Kabila qu’un sac (avec la marque spécifiée), c.à.d. un cadeau des plus ordinaires. Par contre, au peuple congolais, la reine a aussi fait un cadeau: elle a pris en charge la construction d’une aile supplémentaire (maternité) de l’hôpital Roi Baudouin, dans le quartier « pauvre » de Masina. Moralité : en dehors de la frustration que peut ressentir de cette controverse celui qui a voulu faire honneur à la reine Paola, notre protocole doit désormais se le tenir pour dit : Tout ne s’improvise pas. Dans beaucoup de pays d’Occident – France, USA notamment – quand un cadeau offert au chef de l’Etat ou à son épouse dépasse un certain montant, il est automatiquement remis au Trésor public. C’est une question de décence d’abord, et puis, comme dit la sagesse : Timeo Danaos et dona ferentes ».
L. Mantha
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Les diamants de Kabila à la reine Paola
L’euphorie des festivités du cinquantenaire finie, c’est à présent l’heure du réveil, et des comptes. Pas seulement au Congo ! A Bruxelles aussi, on s’y est mis. « Cette fête est un gâchis financier », dit-on là-bas, au regard de la pauvreté des habitants. Mais ce sont les diamants que la reine a reçus du président Kabila qui sont venus booster l’inquiétude des milieux politiques belges.
« Des diamants très gênants pour la Reine », écrit Le Soir à « la une » hier jeudi, en posant la question de savoir si « la reine Paola peut garder ou porter les diamants qu’elle a personnellement reçus de Joseph Kabila ». Pour le quotidien belge, c’est un cadeau dont on se serait probablement bien passé, sinon au Palais royal, en tout cas dans les milieux diplomatiques. Selon les précisions de Jurek Kuczkiewicz et Alain Lallemand qui signent l’article, honoré d’une belle photo de la reine, l’objet est une parure de diamants composée d’un collier, de boucles d’oreille et d’un bracelet, offerte à la reine Paola lors de la visite des souverains belges au Congo, à l’occasion des cérémonies du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’ancienne colonie.
L’information, livrée en primeur par le quotidien à fort tirage « La Dernière Heure », n’a pas suscité de réaction particulière, sinon un peu d’étonnement quant à la grande valeur de cet ensemble, en regard de la grande pauvreté de la République démocratique du Congo et de la majorité de ses citoyens, relève Le Soir qui précise que si la partie congolaise, mue par les meilleurs sentiments, a fait ce cadeau impromptu à la reine contre tous les usages diplomatiques, aucune question par contre n’avait été soulevée quant au sort qu’on allait réserver à la parure et quant à la conservation de ce présent quelque peu embarrassant.
A croire un diplomate contacté par le quotidien, « c’est au Palais à trouver une issue qui soit diplomatiquement, éthiquement et humainement appropriée », ajoutant : « Cette histoire résulte d’une bêtise monumentale du côté congolais, qui nous place dans une situation extrêmement délicate. Mais il faut maintenant éviter d’offusquer nos amis congolais ».
Pour sa part, un porte-parole du Palais a indiqué que « les bijoux reçus seront donnés à la Donation royale, institution appartenant à l’Etat belge ». Il faut comprendre par là, selon le journal, que cette formule permet d’évacuer l’aspect délicat de la question, sans donner l’impression à la partie congolaise que l’on a voulu se débarrasser à tout prix d’un cadeau embarrassant. En clair, le président Kabila, croyant faire plaisir à la reine belge a plutôt manqué sa cible. Le présent est plutôt aujourd’hui propriété de l’Etat, qui en ce moment de crise budgétaire, pourra à l’occasion s’en dessaisir afin d’alléger son déficit.
Un gâchis face à la misère de la population
Du coup, tout Matonge de Bruxelles s’est saisi de la bourde. « On s’agenouille devant les Occidentaux pour qu’on annule la dette colossale du pays, mais de l’autre côté on fait des dons aux Belges, qui n’en ont visiblement pas plus besoin que les Congolais ! », s’est exclamé un compatriote prié de donner son avis sur le sujet.
Dans le même registre, on sait que le Premier ministre belge Yves Leterme avait qualifié les dépenses ayant entouré les festivités des 50 ans de l’indépendance de la RDC de « véritable gâchis ». » Quand on assiste au défilé, on se dit qu’on pourrait avoir le réflexe d’utiliser cet argent autrement » pour soulager la détresse dans laquelle vit la population congolaise, avait-il dit en substance. Il avait à cette occasion confié aux journalistes accompagnant la délégation belge à Kinshasa « son étonnement » sur l’ampleur du défilé, au cours duquel le président Kabila a donné une image d’un Congo « martial », dans une démonstration de force voulue en présence de certains de ses anciens ennemis, les présidents rwandais Paul Kagame et ougandais Yoweri Museveni, qui avaient agressé la RD Congo sous le couvert des rébellions congolaises lors de la guerre dite de l’AFDL en 1996-1997 et durant les affrontements de 1998-2003), selon Belga.
Pour le quotidien Le Soir qui a repris l’information au lendemain des festivités, cet étalage de force ne convainc pas tout le monde : la mauvaise gouvernance reste au cœur des critiques, au Congo comme à l’étranger, et la population, tellement démunie et au quotidien tellement incertain, vit cet anniversaire entre « fierté et immense frustration », précise le journal.
Nlandu di Lusala
10 juillet 2010
Billet du jour