Le Phare – Kinshasa, 02/05/2011 /
Le baobab qui croît à l’entrée de la loi côté résidentiel, non loin du poste de police installé sous une tente,vit depuis des années, en symbiose avec un locataire mystérieux. mais force est de constater que le bailleur, cet arbre, n’a jamais posé un quelconque problème au locataire, ni ce dernier au premier cité, comme c’est souvent le cas. Entre le baobab et l’homme, l’entente est parfaite.
Le fameux locataire appelé David, non autrement identifié, est un jeune homme âgé d’une quarantaine d’années, affichant une santé physique excellente, aux habits débraillés, et dont on dit qu’il accuse des troubles mentaux. Ceux qui fréquentent cette avenue, sont surpris de voir que le quarantenaire manifeste de temps en temps, toute sa lucidité dans les propos.
En outre, il retient facilement les visages des voisins auxquels il associe avec aisance leurs noms de famille ou d’emprunt. Sa forte mémoire ne flanche pas pour les véhicules qui fréquentent l’avenue.
David en connaît les marques, les plaques minéralogiques, ainsi que les couleurs. On sait aussi que dans ses troubles mentaux, que dis-je, dans ses moments de lucidité, il sait identifier les chauffeurs ou les propriétaires et certains passagers. Quelquefois, David apostrophe ceux qui lui paraissent antipathiques en leur rappelant ses altercations avec eux. C’est là le mystère qu’il entretient depuis de longues années. Ce n’est pas tout.
Aussi curieux que cela puisse paraître, dans son parler, on ne peut qu’être frappé par l’enchaînement des idées, la cohérence dans les propos et l’usage correct de la syntaxe et de la grammaire.
Aussi bien en français qu’en lingala. Pas de signes d’imprécision.
Une organisation et des contacts surprenants avec son voisinage
Son gîte fait des branchages, des morceaux de tôles usées et des sachets en plastique, répond aux caractéristiques d’une architecture artisanale respectant les règles d’étanchéité. L’abri ne suinte pas. Il comporte une entrée et un studio qui fusionne harmonieusement, salle de séjour et chambre à coucher. Tout y est, peut-on penser. Même une couchette ne provoquant pas des courbatures. La garde-robe et le garde-manger sont confinés dans cette pièce réduite pour souci d’exiguïté. Cela peut-être pour ne pas violer davantage le contrat de location qui interdit au locataire d’entreprendre trop d’ouvrages sans accord préalable du bailleur.
Qu’à cela ne tienne ! Ce qui nous intrigue, est que son cas rappelle à s’y prendre celui d’un « forestier » ou d’un écologiste qui ne l’a pas trouvé mieux que de se loger lui aussi sur un arbre sur le boulevard Lumumba et dans les parages de l’ancien siège de l’UDPS. Non loin d’un autre « arbre à palabres » abritant les séances quotidiennes des parlementaires debout. Suivait-il les débats des combattants de ce parti politique avec désintéressement ?
Un jour, un concours de circonstances a fait qu’on est finalement rendu compte que ce « fou » était régulièrement en contact avec des personnes bien portantes. On s’est alors aperçu que l’arbre constituait pour lui, un poste d’observation excellent pour suivre les mouvements des véhicules et des personnes entrant et sortant sur la 10ème rue Limete, qui on se rappellera, était envahie à l’entrée par des autoblindés et trois différentes compagnies des unités de l’armée qui relayaient leurs éléments de jour comme de nuit. « Le « fou » a été identifié comme un collabo aux allures de détraqué mental.
Sur décision de l’autorité urbaine poussée à assainir la ville de Kinshasa, on a détruit le gîte et le fou a été délogé des lieux : Certainement que le poste d’observation a été délocalisé et « l’agent » affecté ailleurs. Et on l’avait perdu de ses traces dans la ville.
Aujourd’hui, David, le détraqué mental aux allures inoffensives de la 10ème rue Limete, ne serait-il pas un fils ou un cousin du fou de l’époque qui tient à perpétuer les traditions familiales ? Qui serait-il au juste ? D’où vient-il ? Qu’est-ce qui l’a poussé à préférer se loger sur un arbre ? Comment vit-il ? Pourquoi s’est-il détaché de sa famille et pour combien de temps ?
Autant des questions que des gens se posent en le voyant échanger souvent avec le commandant du poste de police, ainsi qu’avec des policiers postés sur la 10ème rue. Quelques habitués de cette avenue laissent même entendre que David passe la nuit sous la tente, et échange le responsable du poste de police pour un entretien prolongé à l’abri des regards indiscrets.
Troubles mentaux ou amour de la nature, la présence prolongée de David sur la 10ème rue limete, laisse libre court à toutes sortes de spéculations. Pour bien des observateurs à avertis, sa vraie place serait dans un centre neuropsychopathologique pour des soins appropriés, afin qu’il soit guéri et devienne utile pour la société. Et non sur un arbre sur le boulevard Lumumba où il donne un spectacle désolant aux touristes étrangers en visite à Kinshasa. Qu’on se le dise.
J.R.T./Le Phare
4 mai 2011
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