Sud-Kivu : accoucher dans une chambre de prières tue
Par Le Potentiel
Les femmes enceintes de Kiliba, au Sud-Kivu, choisissent de plus en plus souvent d’accoucher dans des chambres de prières plutôt que dans les hôpitaux, dont les tarifs ont augmenté. Mais cela peut leur coûter la vie ou celle de leur enfant.
Début décembre 2011, M.N., 34 ans, mère de deux enfants, décide d’accoucher à la 8ème Communauté des Églises pentecôtistes en Afrique (CEPAC), section de Kitona, cité de Kiliba, au Sud-Kivu. D’autres femmes, comme elle, étaient là pour mettre leurs enfants au monde. « Elle avait bien engendré, mais après, elle a commencé à saigner, confie un membre de sa famille. Le pasteur a refusé que nous l’amenions à l’hôpital, car il attribuait cela à des démons envoyés qu’il allait rapidement chasser ». Mais la jeune mère n’a pas survécu.
Au cours de ce même mois, une autre femme est morte en couche à Kiliba dans une des ces chambres de prières, où habituellement les gens vont prier Dieu de régler leurs problèmes.
À l’origine de ces drames, la pauvreté, qui pousse désormais de plus en plus des femmes à se rendre dans les chambres de prières ou à accoucher à la maison. En effet, plusieurs maternités de cette cité de quelque 30 000 habitants ont augmenté leurs tarifs en octobre dernier : de 3 à 10 Usd voire 15 Usd pour un accouchement. « Là où on peut manquer de layette, comment trouver cette somme ? », lance Mawazo, cultivatrice au secteur 2 de Kiliba. Tarification à la main, Zéphirin Kwabene, responsable de l’hôpital de la sucrerie de Kiliba, indique, lui, que les prix vont de 5 à 8 Usd selon qu’il s’agit d’un accouchement normal ou non, et au-delà en fonction des médicaments utilisés.
Des pasteurs criminels
Les menaces de certains pasteurs incitent aussi les femmes à déserter les maternités. Pour renforcer leur emprise sur les fidèles en faisant étalage de leur soi-disant clairvoyance, certains d’entre eux affirment, par exemple : « Nous avons eu des visions dans lesquelles ta grossesse a des problèmes. Si tu ne viens pas accoucher ici, entre les mains de Dieu, tu mourras. Il y a un obstacle. Ne lâche pas, efforce-toi avec des prières ! »
Par ailleurs, d’autres femmes craignent l’humiliation à l’hôpital, car elles n’ont pas d’habits neufs dans leur valise ni pour leur sortie. La plupart sont des paysannes ou les épouses d’anciens agents de la sucrerie de Kiliba, arrêtée depuis 1997. Les hommes de Dieu, eux, ne demandent rien, « seulement le savon et un kilo de sucre en guise de remerciement à Dieu », selon David Munyaga, directeur d’Ondes FM, une radio de Kiliba. Que ce soit à la maison ou dans une église, les risques tiennent au manque de compétences et de matériel médical. « Cela se fait dans un environnement malsain susceptible de contaminer la mère et son enfant », poursuit Zéphirin Kwabene. Il affirme avoir reçu ces derniers temps plusieurs femmes qui ont connu des problèmes lors de l’accouchement dans des chambres de prières. De plus, avertit-il, après la naissance, il n’y a aucun suivi de l’enfant. « Des complications peuvent survenir par la suite », confirme Angel Cibanvunya, directrice infirmière à Kiliba. »
Certaines qui ont tenté l’expérience d’accoucher dans une chambre de prières jurent de ne plus y retourner bien qu’ailleurs le prix soit élevé. C’est le cas d’Esther Neema, âgée d’une trentaine d’années. « Je tenais à avoir une fille après mes quatre garçons. Mais la petite fille que j’ai mise au monde à l’église est décédée sur place parce que le cordon ombilical a été mal coupé », confie-t-elle en se couvrant la tête de ses mains.
Une sensibilisation difficile
Pour le chef de la cellule d’hygiène de Kiliba, des tentatives ont déjà été faites à l’égard des responsables de chambre de prières. « Nous les sensibilisons afin de diminuer la mortalité maternelle. Malheureusement, il n’y a pas de changement », constate-t-il.
David Munyaga regrette qu’Ondes FM, qu’il dirigeait, ait cessé d’émettre depuis quelques semaines, car Zéphirin Kwabene y intervenait régulièrement pour expliquer le bien fondé d’accoucher à l’hôpital plutôt que chez soi ou dans une chambre de prières. En l’absence de radio, on est obligé de passer par les Églises pour diffuser des communiqués et des messages. « Difficile alors de sensibiliser les femmes là-bas, car c’est l’Église qui est mise en cause », remarque un préposé à l’État civil.
Syfia/LP
13 février 2012
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