« La réforme de l’ANR s’impose pour mettre fin aux abus de pouvoir de ses agents et fonctionnaires »
L’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) appelle le Gouvernement congolais à engager urgemment des reformes profondes de l’Agence Nationale de Renseignement (ANR) pour mettre fin à l’impunité que jouissent certains de ses agents et fonctionnaires, responsables des enlèvements, arrestations, détentions au secret et traitements inhumains des citoyens.
ACAJ relève qu’à ce jour les agents et fonctionnaires de ce service échappent aux poursuites judiciaires, pouvant résulter des violations des droits fondamentaux de citoyens, à cause des privilèges de poursuites leur consacrés par les articles 23 et 25 du décret-loi n° 003/2003 du 11 janvier 2003 portant création et organisation de l’ANR en ces termes :
- « Article 23 : les officiers de police judiciaire de l’ANR sont, dans l’exercice de fonctions attachées à cette qualité, placés sous les ordres et la surveillance exclusif de l’Administrateur Général et accomplissent leurs missions de police judiciaire dans le respect des lois et règlements. Ils transmettent immédiatement leurs procès verbaux à l’Administrateur Général qui les envoies à l’Officier du Ministère Public près les juridictions civiles ou militaires selon le cas ».
- « Article 25 : les officiers de police judiciaire ou du Ministère Public, avant d’interpeller ou de poursuivre les agents et fonctionnaires de l’ANR, pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, doivent demander l’avis préalable de l’Administrateur Général. Les officiers de police judiciaire ou du Ministère Public, avant d’interpeller ou de poursuivre, les fonctionnaires de l’ANR pour les actes n’ayant pas trait à l’exercice de leurs fonctions, doivent en informer l’Administrateur Général ».
ACAJ considère que les dispositions précitées violent non seulement le principe d’égalité en droits et obligations (article 11 de la Constitution), mais aussi et surtout l’obligation internationale de la RDC de fournir à toute personne qui affirme avoir subi une violation de ses droits fondamentaux un recours réel et effectif et non illusoire. Donc, elles verrouillent toutes poursuites, constituent l’une de formes d’impunité et doivent être abrogées.
Parmi les cas récents des violations des droits de l’homme mis à charge de l’ANR, l’ACAJ épingle ceux de :
- Me John KALOMBO, avocat au Barreau de Kananga et Coordonnateur provincial du Bureau International de l’Enfant (BIC) du Kasaî-Occidental, depuis plus de trois ans, qui a été enlevé par l’ANR Kasaï Occidental le 04 septembre 2012 au bureau de BIC vers 14 heures, parait-il, à la suite d’une dénonciation faite par un militaire FARDC, non autrement identifié, l’accusant de lui avoir proposé de rejoindre les troupes du Colonel John Tshibangu. Après sa détention, sans visite, ni assistance d’un Conseil, dans les locaux de l’ANR/Kananga, Me John Kalombo a été transféré à Kinshasa le jeudi 06 septembre 2012 où il est détenu dans un lieu tenu
secret par l’ANR, sans droit de recevoir la visite de membres de sa famille ou de son Bâtonnier, ni de l’assistance d’un Conseil de son choix. Il est défenseur des droits de l’homme travaillant pour la lutte contre les violences sexuelles et le projet Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) des enfants soldats.. Il a démobilisé, à ce jour, 44 enfants soldats dont 17 filles (parmi lesquelles une est grosse), tous venus du front de la province du Nord-Kivu. Les 6 et 7 septembre 2012, son épouse a reçu des appels téléphoniques la menaçant de mort et réclamant le versement d’une somme d’argent pour obtenir sa libération.
- M. Pierre Sosthène KAMBIDI, journaliste à la Radio chrétienne de Kananga, enlevé le 28 août 2012 et transféré à l’ANR Kinshasa, depuis près de quatre semaines, sans droit de visite, ni d’assistance d’un Conseil. Il a été accusé par l’ANR d’avoir corroboré, dans son journal, la défection de John Tshibangu, et accordé la parole à Valentin Mubake, membre de l’UDPS. M. Patrick BIANYAKA, journaliste à la même radio a reçu plusieurs fois des menaces d’arrestation de la part des agents ANR. Il en est aussi le cas de M. Fortunat KASONGO, directeur de la Radio-Télévision autonome du Sud-Kasaî (RTAS), émettant dans la cité de Miabi, située à environs 30 km de Mbuji-Mayi, qui a été enlevé, détenu et auditionné sans droit de visite, ni d’assistance d’un Conseil, conduit à Mbuji-Mayi et puis transféré à Kinshasa où il est détenu dans les mêmes conditions jusqu’à ce jour.
- Professeur Dr. Michael MBONEKUBE, Président national du parti politique ‘Mouvement d’Union pour le Développement national, arrêté au Burundi le 01juin 2012, ramené à Bukavu via Goma, puis transféré à Kinshasa, est détenu dans un cachot de l’ANR tenu secret, sans droit de visite ni de l’assistance d’un Conseil. Ses proches ont rapporté à ACAJ que son état de santé s’est fortement détériorée et nécessite urgemment des soins médicaux appropriés. L’intervention de Madame le Ministre de la Justice suivant sa lettre n° MIN/JDH/004/MMW/2012 du 03 juillet 2012, demandant sa libération ou son transfert auprès d’une autorité judiciaire compétente, n’a jamais produit d’effets.
ACAJ a été aussi informée, par plusieurs personnes, de Kananga et Mbuji-Mayi, qu’elles font l’objet de filature de la part des agents de l’ANR, et leurs téléphones seraient mis sous écoute. Le 11 septembre 2012, le Représentant de l’ACAJ à Kananga a été interpellé dans un cybercafé de la place, par deux agents de l’ANR, et soumis à un interrogatoire serré pour qu’il explique les raisons de sa présence dans ledit lieu ; par après il a été conduit au bureau de la Mairie où il a été empêché de se mouvoir pendant une heure.
Les cas précités rappellent l’interdiction, arbitraire, faite par l’ANR/Katanga à deux Avocats du Barreau de Lubumbashi, qui étaient intervenus dans quelques dossiers d’adoption d’enfants, de quitter cette Ville au motif qu’ils auraient été mêlés à « un trafic d’enfant ».
ACAJ condamne l’administration de la justice par l’ANR et les violations des droits fondamentaux qui prennent de plus en plus des proportions inquiétantes.
Elle rappelle aux responsables de ce service que nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit (article 17 de la Constitution de la RDC). Toute personne gardée à vue a le droit d’entrer immédiatement en contact avec sa famille ou son conseil et la garde à vue ne peut excéder quarante huit heures. A l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue doit être relâchée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente. Tout détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa vie, sa santé physique et mentale ainsi que sa dignité (article 18, alinéas 3, 4 et 5 de la Constitution de la RDC). Toute personne a le droit de se défendre elle-même ou de se faire assister d’un
défenseur de son choix et ce, à tous les niveaux de la procédure pénale, y compris l’enquête policière et l’instruction pré-judiridictionnelle. Elle peut se faire assister également devant les services de sécurité (article 19, alinéas 4 et 5 de la Constitution de la RDC).
Elle demande au Gouvernement congolais de faire cesser toutes interception, écoute, enregistrement, transcription et divulgation des correspondances émises par voie de télécommunication par l’ANR s’ils ne sont autorisés préalablement par le Procureur Général de la République en application de l’article 54 de la loi cadre n° 013/2002 du 16 octobre 2002 sur les télécommunications en RDC.
Elle attire l’attention des responsables de l’ANR sur le fait que les personnes qui commettent, encouragent ou tolèrent la commission des violations systématiques des droits fondamentaux, et pensent finir leurs jours tranquillement, sous protection politique ou à l’étranger, seront poursuivis, jugées et condamnées un jour. Car, la Communauté internationale dispose déjà des instruments juridiques efficaces pour organiser leurs traque et punition au-delà des frontières des Etats.
Eu égard à ce qui précède, ACAJ recommande :
Au Gouvernement :
- De faire libérer sans condition toutes les personnes détenues à ce jour par l’ANR ou les faire transférer aux instances judiciaires compétentes,
- de déposer en urgence, auprès du Parlement, un projet-loi portant modification du Décret-loi n° 003/2003 du 11 janvier 2003 portant création et organisation de l’ANR dans le but de placer les actes judiciaires de ses agents sous la surveillance exclusive de l’autorité judiciaire et supprimer leurs privilèges de poursuites ;
- de mettre sur pied une commission d’enquête indépendante afin d’identifier les auteurs des faits susmentionnés, les faire poursuivre disciplinairement et judiciairement pour rassurer l’opinion de son engagement réel dans la lutte contre l’impunité ;
Aux Parlementaires:
- d’interpeller, à la session qui démarre ce 15 septembre 2012, le Ministre de l’Intérieur pour qu’il fournisse les raisons de la recrudescence des enlèvements, arrestations, détentions au secret et traitements inhumains par l’ANR.
Aux ONG des Droits de l’Homme :
- de documenter tous les cas de violations des droits fondamentaux des citoyens et encourager les victimes à déposer plaintes en justice ;
Fait à Kinshasa, le 14 septembre 2012
ACAJ
Contacts presse :
Me Georges Kapiamba, Président National
Téléphone : +243 81 404 36 41
Email : gkapiamba@yahoo.fr
16 septembre 2012
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