ASADHO – B.P.16737 – KINSHASA 1 – R.D. Congo
Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme
African Association for the Defense of Human Rights
Kinshasa, le 29 aout 2013
Aux Hommes de Dieu de la République Démocratique du Congo.
Concerne : Le combat pour la justice est une dimension intégrante de votre mission évangélisatrice.
Nosseigneurs les évêques, Révérends pasteurs, prêtres, rabbins, religieux et religieuses;
Depuis 22 ans, notre organisation, ASADHO en sigle, milite pour l’instauration d’un environnement épris de justice et de respect des droits de l’Homme en République Démocratique du Congo.
Notre quête de justice découle de notre conviction selon laquelle la justice est une vertu qui rassure et qui offre à tous les citoyens les mêmes chances et les mêmes possibilités de s’épanouir, de se développer et, surtout, de participer à la construction d’une société juste, égalitaire, ouverte et inclusive.
« La justice, dit la Bible, grandit la nation » (Proverbes 14, 34) parce qu’« elle crée un climat de paix et d’harmonie dans la société du fait que la loi protège tout citoyen des exactions et de tout abus de pouvoir » C’est donc la justice qui donne à la nation les possibilités d’émerger et de progresser. La construction d’une nation éprise de justice et de respect des droits de l’Homme en République Démocratique du Congo est une entreprise qui a besoin de tous les acteurs dont les hommes de Dieu que vous êtes. Sans votre implication, la construction d’une nation pétrie de justice et de respect des Droits de l’Homme ne sera qu’une illusion. C’est sur vous que la Nation place son espoir car les hommes politiques congolais ont montré leurs limites et incapacité à poser les jalons d’une Nation fondée sur la justice, la démocratie et le respect des Droits de l’Homme en RDC.
Le combat pour la justice fait partie intégrante de votre mission évangélisatrice. Héritiers d’illustres prophètes comme Amos, Ezéchiel ou Nathan, vous vous devez de dénoncer à temps et à contretemps aussi bien les abus en matière des Droits de l’Homme que la dérive totalitaire qui en constitue la source. « L’évangélisation doit dénoncer et combattre tout ce qui avilit et détruit l’homme »
Le silence des hommes de Dieu devant les cas de plus en plus nombreux d’injustice et de violation des droits de l’Homme au Congo ne profite qu’aux politiciens véreux qui veulent construire un Congo où seuls les plus forts ont raison sur les faibles, où les riches ont raison sur les pauvres et où celui qui porte une arme a raison sur celui qui, par choix, refuse d’en posséder. Un tel Congo n’est pas digne de nous et encore moins de ce Dieu dont vous annoncez le Royaume. Ce Dieu qui se distingue par sa sollicitude pour les faibles et les persécutés attend de vous un engagement plus actif et plus ferme pour la justice sociale.
Vu le nombre important des fidèles qui sont sous votre charge et l’influence que vous avez sur les masses et compte tenu du nombre important d’institutions que vous dirigez (écoles, hôpitaux, paroisses, institutions d’enseignement supérieur, etc.), votre implication dans le combat pour la justice et le respect des Droits humains peut modifier les rapports de force et générer des profonds changements utiles à la naissance d’un nouveau Congo. Prenez-en conscience et agissez.
Quand nous plongeons notre regard dans l’histoire du monde, nous nous rendons vite compte du rôle combien utile que certains hommes de Dieu ont joué dans le combat pour la justice et pour le respect des libertés publiques.
L’exemple du pasteur américain Martin Luther King et celui de l’évêque Sud-africain Desmond Tutu sont non seulement édifiants mais aussi révélateurs du rôle que les hommes de Dieu peuvent jouer pour aider les nations à progresser, à émerger et à placer l’homme au centre de tout projet social.
Nosseigneurs les évêques, Révérends pasteurs, prêtres, rabbins, religieux et religieuses;
Pour notre pays, la lutte héroïque menée par Simon Kimbangu contre la colonisation et l’asservissement du congolais avait énormément contribué à poser les jalons de notre indépendance en 1960.
Plus près de nous, le Cardinal Joseph MALULA est aussi un exemple de courage, mais plus d’un pasteur qui avait compris que la mission lui confiée par Dieu ne se limitait pas à la prière et à la sanctification personnelle. Chez lui, prière et action constituaient les deux dimensions inextricablement liées de sa mission. Le Cardinal MALULA avait compris que « changer le monde est une tâche pour l’Église » et qu’il était appelé à participer à la construction d’une nation où les injustices devaient être considérées comme des exceptions, et non comme la règle. Les menaces, les intimidations et les privations dont il avait été victime n’ont jamais eu raison de ses profondes convictions pour le bien et pour un monde juste. Bien qu’il soit interdit à un État d’expulser ses propres citoyens, nos dirigeants d’hier n’avaient malheureusement pas hésité à l’envoyer en exil à Rome. Cet acte infâme de l’État n’a
pas, loin s’en faut, ébranlé ses convictions pour la justice sociale.
L’on se souviendra aussi qu’en dépit des risques certains qu’il encourait dans un pays occupé, Monseigneur Christophe MUNZIHIRWA MWENE NGABO a été le premier à informer l’opinion que les étrangers qui ont envahi le Congo en 1996 déterraient les armes qu’ils avaient préalablement cachées dans les champs des pauvres paysans et à démontrer qu’ils avaient le projet d’occuper le Congo. Il en a payé de sa vie.
Ces différents hommes de Dieu n’ont pas combattu un homme politique précis, en fonction de la couleur de sa peau, de sa tribu ou de sa province d’origine, mais ils ont combattu les injustices, la corruption et les atteintes aux libertés publiques dont leurs concitoyens étaient chaque jour victimes. Ils n’ont pas dénoncé le mal parce qu’ils voulaient prendre le pouvoir mais parce que leur mission leur donne mandat d’intervenir chaque fois qu’un pouvoir se conduit d’une manière contraire à la justice.
Par ailleurs, les souffrances indicibles qui sont infligées aux populations congolaises ont provoqué la réaction de 52 rabbins qui, en avril 2010, ont mobilisé les chefs des partis politiques britanniques en campagne pour qu’ils prennent action en faveur de la paix en République en démocratique du Congo. « Si l’on considère la souffrance et l’ampleur des atrocités commises en RD Congo, nous ne pouvons que nous rappeler nos propre 6 millions de victimes du génocide Nazi. Comme rabbins, nous ne pouvons pas ignorer l’appel de notre tradition: « Celui qui détruit une âme, est comparable à celui qui détruit le monde. Et quiconque sauve une vie, est comme celui qui sauve le monde. ». Nous avons tous la responsabilité d’être la voix des sans voix.
Et le fait que l’évêque Desmond Tutu ait déclaré publiquement, au courant de cette année, qu’il ne votera pas pour l’ANC révèle son engagement à combattre de manière plus active les injustices et la corruption faites par tous les dirigeants politiques sud-africains qu’ils soient blancs ou noirs. Cet homme de Dieu inspire respect et confiance à cause de son courage à faire face à un système politique inhumain et corrompu et surtout à cause de sa propre probité et sa liberté vis-à-vis des biens de ce monde.
A cette étape de l’histoire de la RDC, nous avons besoin des pasteurs comme Simon Kimbangu, Martin LUTHER KING, Desmond TUTU, Joseph MALULA et Christophe MUNZIHIRWA.
Nous n’appelons pas les évêques, pasteurs, prêtres, rabbins, religieux et religieuses à combattre des personnes bien déterminées, mais à combattre les injustices et la violation des libertés publiques d’où qu’elles viennent. Par ses prises de positions, la CENCO dont nous saluons l’engagement pour la justice a montré qu’il est possible de combattre les injustices et la corruption sans combattre des individus bien déterminés. La théologie étant libératrice par nature, nul ne saurait vous reprocher de combattre un système qui asservit l’homme, image de Dieu. Et nul ne pourrait vous accuser « de faire la politique » : du prophète Nathan au Pape François en passant par le Cardinal MALULA, Mgr MUNZHIRWA ou Jésus-Christ lui-même, tous ont, au nom de la parole de Dieu, dénoncé les injustices et la corruption, fustigé les systèmes injustes et corrompus et interpellé les dirigeants injustes et corrompus. Allez-y, c’est
la mission que Dieu vous a confiée. Les fidèles sont derrière vous.
Nosseigneurs les évêques, Révérends pasteurs, prêtres, rabbins, religieux et religieuses;
Nous vous sommes reconnaissants pour le rôle combien important que vous jouez dans les domaines de l’éducation et de l’encadrement du peuple congolais depuis de longues années. Pendant que l’État a déserté l’intérieur du pays, vous êtes les seuls à assurer, jusque dans les coins les plus reculés du pays, les services essentiels.
Mais il se fait malheureusement que beaucoup d’entre vous ont aussi trop fermé les yeux sur les injustices et les violations des libertés publiques dont les congolais sont victimes de la part de certains détenteurs du pouvoir politique, militaire, économique et administratif dans notre pays. Combien d’évêques, pasteurs, prêtres, rabbins, religieux et religieuses s’étaient levés pour condamner, notamment :
1. Le massacre des adeptes de BUNDU DIA KONGO en 2007 ;
2. Les arrestations et détentions arbitraires des ressortissants de la Province de l’Equateur en 2007 et 2010,
3. La révocation des magistrats sans respect des procédures en 2009 et en 2012 ;
4. L’implication de certains politiciens et militaires dans les injustices qui se passent à l’est de notre pays ;
5. La fraude électorale de novembre 2011
6. La corruption systémique qui détruit notre administration, nos écoles et universités.
7. L’enrichissement illicite et facile de certains politiciens et administratifs.
Ces faits cités à titre purement exemplatif peuvent vous convaincre que vous n’avez pas rempli pleinement votre mission de protéger notre pays et le peuple de Dieu contre les injustices.
Pire, certains d’entre vous ont, du haut de leurs chaires, interdit à leurs fidèles de dénoncer la fraude électorale et de laisser Dieu s’en occuper. Cette théologie qui démobilise les fidèles et détourne « l’attention des Congolais de leurs responsabilités dans la société » est dangereuse pour le pays. Elle est un obstacle pour les changements véritables. Ceux qui pillent le pays ne peuvent qu’encourager une telle spiritualité désincarnée et coupée des problèmes d’injustices auxquels les citoyens sont concrètement confrontés.
Il faut, cependant, saluer le travail remarquable des évêques catholiques. En dépit de quelques divisions qui se manifestent de temps en temps entre eux, les évêques catholiques n’ont jamais raté l’occasion de dénoncer les maux qui rongent notre société. Leur courage est un exemple à suivre.
Nous aurions souhaité qu’ils améliorent la formation politique de leurs laïcs pour en faire des alliés capables de transformer en action sociale et en projet politique leurs déclarations, prises de positions et mémorandums.
Beaucoup d’hommes de Dieu se refusent d’agir contre les injustices et les violations des Droits de l’Homme au nom du principe de la neutralité. Ils font fausse route : devant le mal et les injustices inacceptables, la neutralité n’a pas de place et ne se justifie pas. Le Pasteur Martin Lutter King n’avait il pas raison quand il disait que « ce qui m’effraie ce n’est pas la cruauté des méchants, mais c’est le silence des justes » ? Pourquoi Martin Luther King ne s’était-il pas tu devant les injustices dont les Noirs étaient victimes aux États-Unis ? Et pourquoi les justes se taisent-ils aujourd’hui devant les maux qui détruisent notre pays ? Pourquoi se taisent-ils devant l’enrichissement personnel particulièrement éhonté observés dans le chef de nos dirigeants ? Pourquoi se taisent-ils devant les détournements de deniers publics ? Pourquoi ne nous levons-nous pas face à tant de viols, tant de massacres,
tant de
restrictions des libertés individuelles et collectives ?
Permettez-nous de vous dire qu’il n’y aura pas de changements significatifs, au plan politique, économique et social sans l’implication des églises, particulièrement de l’église catholique qui est notre mère à tous.
Nosseigneurs les évêques, Révérends pasteurs, prêtres, rabbins, religieux et religieuses;
Il n’est jamais trop tard pour mieux faire. La situation politique, économique et sociale difficile que traverse le Congo aujourd’hui étant une conséquence des injustes que certains congolais ont fait subir à d’autres, elle est aussi une opportunité pour agir. Il est temps de vous lever tous contre le système qui empêche et qui empêchera le Congo de décoller malgré ses énormes ressources humaines et naturelles ; « Il est temps de nous réveiller » Et « l’impératif doit maintenant être clair et absolument décisif : nous mettre debout en vue de construire notre destinée » en luttant contre les injustices et les violations des droits de l’homme qui retardent l’avènement d’une société congolaise respectueuse de la dignité humaine.
Nosseigneurs les évêques, Révérends pasteurs, prêtres, rabbins, religieux et religieuses;
Les événements qui se profilent à l’horizon dans notre pays ( les concertations nationales, le débat sur la révision de l’article 220 de la Constitution, les élections provinciales et locales…) vous offriront les opportunités d’agir, de dénoncer et de combattre les injustices et toutes les autres anti valeurs que certains congolais veulent entretenir contre la grande partie de notre peuple. Ne vous taisez pas, agissez.
L’ennemi du changement, c’est la peur. La peur des intimidations, des arrestations et détentions arbitraires ou encore la peur de la mort par des procédés bien connus de tous (assassinat, poison…). Quoi qu’il en soit, chacun de nous mourra de quelque chose. Et mourra un jour. Personne n’est éternel sur cette terre des hommes. Mais il nous semble seulement que mourir pour une cause juste vaut mieux que vivre dans un pays qui ne vous offre pas les mêmes chances et où la raison du plus fort est toujours la meilleure.
Le Congo attend beaucoup de vous. Le Congo ne va pas émerger sans votre voix, sans votre action. Compte tenu de la place que vous occupez dans notre société et de l’influence que vous avez auprès des masses, votre responsabilité envers la nation et les générations futures est très grande. Vous devez en prendre conscience et agir en conséquence.
Travaillons ensemble pour un Congo où la démocratie sera effective, où les droits de l’Homme seront respectés et où la justice fleurira. Dieu n’est pas contre un tel Congo. Il est contre ceux qui retardent son avènement.
Personne n’avait jamais cru que la ségrégation dont les Noirs étaient victimes aux États-Unis et en Afrique du Sud serait un jour éradiquée. Aujourd’hui, elle appartient à l’histoire. Mais il a fallu le courage et la ténacité des victimes. Personne n’avait jamais cru que le combat de Mandela changerait l’Afrique du Sud, que le combat de Martin Luther King ouvrirait la Maison Blanche à un Président Noir. Les choses ont changé en Afrique du Sud et aux États-Unis. Elles changeront en République Démocratique du Congo.
Nous gardons donc l‘espoir que l’exemple de Simon KIMBANGU, du Cardinal Joseph MALULA et de Monseigneur MUNZIHIRWA vous inspirera tous, vous les hommes de Dieu de notre pays et vous permettra de prendre la vraie mesure des responsabilités qui pèsent sur vos épaules fragiles pour que le Congo retrouve le chemin de la paix et de la justice.
Nous restons ouverts pour échanger sur toutes les questions soulevées dans cette lettre.
Pour l’ASADHO
Me Jean Claude KATENDE
Président National.











29 août 2013
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